Episode 4: la vie en tribu ou la vie secrète de vos collaborateurs
La Vie en tribu: un contenant émotionnel plus qu’en contenu rationnel infiltrant les entreprises et organisations
N´en déplaise à une certaine intelligentsia, l´essentiel n´est plus dans le contenu rationnel mais dans le contenant émotionnel ! Le passage à l’ère postmoderne s´accompagne d´un retour en force des humeurs et des affects mis artificiellement sous couvert par une ère moderne prônant la raison à tout prix. En écho à cette raison moderne industrialisée, une sensibilité artisanale postmoderne est en train de renaitre de ses cendres. Affirmation, démonstration ou encore manifestation de ses différences, tout est bon pour fonder et/ou appartenir à une tribu. Cette envie féroce d´appartenance et de reconnaissance tribales influence l´ensemble de nos relations et transforme en profondeur la relation manager-managé dans les entreprises d´où la nécessité de renouveler en profondeur les standards de management.
Manager = organiser et accompagner la vie en tribu
C’est un fait : il y a un retour à la vie tribale et les entreprises ne sont pas épargnées par ce phénomène. Il serait puéril de le nier. Ces tribus occupent l´espace et structurent la « vie officieuse » des entreprises c’est-à -dire la vie qui ne se dit pas mais qui se vit. Ces tribus fragmentent aussi le fonctionnement officiel des entreprises et des organisations avec une perte d´efficacité et de compétitivité si le phénomène est durablement occulté ou nié. Ce communautarisme est bien évidemment l´expression d´une saturation d´un idéal unitaire voulu par le management moderne. A l’harmonie abstraite d’une unité de façade est en train de succéder une vitalité tribale postmoderne. Cessons d’être des grognons obnubilés par le « bon vieux temps » du management caporatiste et essayons plutôt d´avoir l’audace de savoir comment utiliser l’énergie de cet idéal communautaire en gestation. En effet, il est inutile de stigmatiser les tribus. Au contraire, essayons de les accompagner en commençant par tenter de les décrypter.
La vie en tribu ou vivre une autre réalité grâce à un fort sentiment d´appartenance et de reconnaissance.
Certainement à plusieurs choses mais assurément à un désenchantement quasi généralisé ! Ce désenchantement prend ses racines dans une distorsion entre rêve et réalité de moins en moins admise ce qui alimente au quotidien une volonté farouche de se construire et de s´inventer une autre réalité! Cette aspiration est vraie pour les hommes, les femmes, les enfants, les couples, les salariés, les patrons, les auto-entrepreneurs, les chômeurs etc. Le ras le bol d´être un simple numéro crée une lame de fond qui nous pousse à muter de tous pareils à unique ensemble. Ce phénomène tribal correspond donc à un nouveau besoin d´appartenance et de reconnaissance et les conséquences managériales sont colossales.
Du contrat d´entreprise au pacte de la tribu
Pour le dire autrement, disons que le phénomène de la tribu postmoderne est un changement comportemental profond. En effet, le temps de demi-vie dans une culture d´entreprise donnée a considérablement diminué à travers l´augmentation toujours croissante des fusions-acquisitions-disparitions. Résultats des courses : On change de « culture professionnelle » plus souvent et l´envie de choisir la suivante plutôt que de la subir est de plus en plus forte ! Le déclin des grandes institutions modernes solides et pérennes (l´état, l´école, l´armée, l´église, la famille, l´entreprise) a laissé des espaces de liberté interstitielle dans lesquels se développent et se structurent la vie en tribu. A l´ère postmoderne, les liens de famille ne sont plus que des liens de sang, de fidélité ou de hiérarchie. Ce sont aussi des liens existentiels, originels ou occasionnels. Ces liens sont électifs, sélectifs, inconditionnels avec comme fil directeur les affects, les humeurs, les passions ou encore les sensibilités. A l´évidence, ces nouveaux liens s´inscrivent plus dans un pacte informel que dans un contrat formel. En effet, la densité et l´intensité des sensibilités, des humeurs ou des affects sont difficilement « contractualisables » d´où la complexité croissante d´être un manager ou d´être managé en 2013 ! En management aujourd’hui, la difficulté provient essentiellement d´une désynchronisation entre ce qui se dit (plutôt du domaine de la raison) et ce qui se vit (plutôt du domaine des affects et des humeurs).
D’une tribu à l’autre pour des pactes en CDD plutôt que des contrats en CDI
La personne postmoderne, loin de s´enchainer dans une seule tribu, virevolte d´une tribu à l´autre. Les tribus postmodernes tentent de se substituer aux grandes institutions modernes décadentes en réinventant un lien fait de pactes en CCD plus que de contrats en CDI. A l´époque moderne, il fallait être un bon soldat et appartenir à une nation ou une entreprise en échange d´un contrat social. A l´époque postmoderne, il faudra appartenir à plusieurs tribus pour assouvir ses besoins d´appartenance au prix parfois de quelques jeux d´apparences. Le management moderne imposait un moule en échange d´un contrat! Le management postmoderne proposera un pacte à l´intérieur d´une tribu! D´une morale obéissante on passe à une éthique engagée! Cela restructure en profondeur le paradigme managérial! La loi du frère va remplacer la loi du père. La compétence et le talent primeront sur le statut et l´autorité de principe!
Mécanisme intime de la vie en tribu: un lieu qui fait lien dans l’entreprise
La modernité était structurée par le temps. Le manager moderne devait durer. La postmodernité sera structurée par l´espace. Le manager postmoderne devra être sur le bon territoire au bon moment avec les bonnes personnes d´où la formation plus ou moins éphémère et réversible de tribus pour s´adapter aux différentes problématiques et aux humeurs du moment! Certains appellent cela l´agilité. C´est clairement cette agilité que certains talents ou certains créatifs recherchent en rejoignant les start-up ou les incubateurs postmodernes parfois au prix d´une rémunération moindre. Les structures modernes étaient symbolisées par la force du chêne. Les structures postmodernes seront symbolisées par l´agilité du roseau.
La vie en tribu: une primauté de l’espace sur le temps
Cette primauté de l´espace sur le temps signe également que l´appartenance à une tribu est un déclencheur de libertés interstitielles. La tribu représente aux yeux de ses membres la faille du système qui se veut extrêmement réducteur et homogénéisateur. Dans les entreprises, la vitalité, l´énergie et l´élan vital se nichent déjà plus dans la vie secrète de ces tribus que dans la doctrine officielle du Corporate. Cette recrudescence tribale est très révélatrice des mutations climatologiques de notre époque et illustre parfaitement le rejet d´un management centralisateur, pyramidal et industriel au profit d´un management réticulaire et artisanal. Dans une tribu, on vit ensemble avec densité (liaison forte) et intensité (expérience forte) d´où une forte circulation des affects permettant des phénomènes initiatiques efficaces. Seuls les managers qui appréhenderont ces mutations comportementales conserveront une autorité sur leur équipe. Dans le prochain épisode de notre saga postmoderne, nous tenterons justement de mieux décrypter les arcanes de ces personnes postmodernes appartenant à ces tribus.