La saga de la société postmoderne
Episode 3 : L´avènement d´une autre raison !
La raison était au centre de la modernité. Elle était l´alibi des élites pour imposer à tous les grands projets (les grands progrès ?) politiques, économiques, philosophiques et écologiques. Le monopole et l´excès de cette raison élitiste nous ont conduits dans les impasses décrites dans l´épisode 1 et ont engendré les ruptures sociologiques analysées dans l´épisode 2. Avec un peu de recul, disons que la raison moderne arrive à saturation car elle incarne un immense processus disciplinaire de normalisation, d´homogénéisation, de dressage et de domestication des citoyens, des salariés et de tous les gens d´en bas! Au fond, l´idée du fameux contrat social inventé par Jean Jacques Rousseau était de fabriquer un individu moderne, maître de lui, éclairé, indépendant, maîtrisant ses instincts, sa libido, ses passions et ses émotions le tout avec une identité fixe et presque figée au service d´un état, d´une entreprise ou d´une organisation. A l´évidence, le management et les managers dits modernes ont été largement influencés par ce contrat social.
Toute cette raison moderne a assez bien fonctionné tant que le contrat liait un mode de production et un mode de protection en réconciliant la question économique et sociale. Le développement de l´économie financière, indispensable pour prolonger le cycle infernal croissance-endettement-relance, allait tout changer en découplant quantité de production-quantité de travail-quantité de protection. La finance produit de la valeur sans rien transformer. La matière première est de l´argent et le produit finit est de l´argent. On comprend dès lors qu´il ne faille pas la même quantité de travail pour opérer la transformation.
Cette virtualisation de la transformation a tué la valeur artisanale du travail et soumis le travail industriel à des rendements tout simplement intenables sur le long terme. Avec la financiarisation de l´économie, la centralité du travail humain s´efface et la protection sociale avec ! Il s’en suit des pertes de repères (travail-famille-patrie), des pertes de valeurs (effort, volonté, persévérance) et des crises idéologiques (socialisme, libéralisme) qui ont ébranlées la société, les managers, les salariés et toutes les certitudes du management industriel, taylorien et mécaniste.
Ces pertes successives de repères et de valeurs ont reconfiguré de façon indicible et ineffable la raison humaine. Même si les mots nous manquent, disons approximativement et instinctivement que l’utilité (s’il y en a une ?) de l’après-modernité sera un vaste mouvement de réconciliation pour faire émerger de nouvelles formes de raison.
Une raison moins métallique et plus passionnée, ce sera donc une raison sensible !
Une raison moins dogmatique et plus expérimentale. Ce sera donc une raison intime !
Une raison moins conquérante et plus coopérante. Ce sera donc une raison solidaire !
L´émergence de ces trois nouvelles formes de raison aura, au fond, trois finalités :
- Passer d´un contrat social usé jusqu´à la corde (la raison métallique) à un pacte sociétal renouvelé (la raison sensible)
- Passer d´une morale collective vieillissante (la raison dogmatique) à une revitalisante éthique personnelle ou tribale (la raison intime)
- Arrêter de s´étaler et de conquérir (la raison conquérante) pour commencer à s´élever, servir et nourrir ce qui nous entoure ((la raison solidaire)
Appliqué au management postmoderne, formulons l’hypothèse que :
- La raison sensible sera un trait d´union entre les idées et les affects pour passer d´un management purement mécanique à un management plus organique et plus biologique.
- La raison intime sera une passerelle entre obéissance et engagement pour passer d´un management collectif dogmatique à un management personnalisé apporteur de sens.
- La raison solidaire sera un pont entre la maîtrise de soi et le besoin d´appartenance pour passer d´un management « étouffant » à un management « englobant » qui réconcilie rayonnement individuel et force collective.
Le déploiement de ce management postmoderne au sein des entreprises et des organisations postmodernes sera potentiellement une bouffée d´oxygène pour la compétitivité des entreprises et le bien être au travail. En effet, le quotidien devient beaucoup moins anodin et beaucoup plus florissant quand la raison se teinte de passion. Un simple contrat peut même devenir un vrai pacte lorsque le management favorise et facilite au sein de leur équipe de nouvelles espérances et de nouvelles expériences à travers une raison sensible, intime et solidaire !
Le citoyen, le salarié ou tout simplement la personne postmoderne donne déjà et donnera de plus en plus un autre sens, une autre cohérence et une autre cohésion à ses actions et à son mode de vie. Seuls les managers qui intégreront ces changements parviendront à être en phase avec l´ère postmoderne ! Après que les élites aient dicté le futur en le configurant par des promesses, c´est désormais les gens d´en bas qui dictent les voies de l´évolution par des formes d´intelligences plus fusionnelles et émotionnelles que rationnelles et raisonnables. La raison postmoderne transforme l´effondrement du mythe du progrès en une nouvelle forme d´espérance! Ce n´est plus la raison métallique, le travail ou la foi en l´avenir qui seront les vecteurs de l´être ensemble mais plutôt la recherche d´une intensité, d´une densité et d´une vitalité vécues tout de suite, ici et maintenant, à l´intérieur de tribus qui structureront la cité et le monde économique! Ce phénomène communautaire fera l´objet de l´épisode 4 de notre saga postmoderne car il sera un levier majeur dans les entreprises et organisations postmodernes pour canaliser cette nouvelle raison postmoderne!