Notre recherche de liberté se retrouve (provisoirement) dans une impasse !
Depuis la chute du mur de Berlin, un vent de (soi-disant) liberté souffle sur le monde et ce vent est incarné par le marché d’une part (la liberté économique) et la démocratie d’autre part (la liberté sociale). Cette grille de lecture se heurte à deux contradictions majeures qui cristallisent la plupart des mécontentements socioéconomiques actuels :
- Le marché est mondial et la démocratie est locale : ce décalage de niveau amène les tensions et les replis nationaux que l’on connait actuellement
- La liberté c’est le droit de changer d’avis (économiquement c’est le CDD à la place du CDI, socialement c’est l’explosion des divorces, politiquement c’est l’alternance et l’abstention, philosophiquement c’est des croyances éphémères et successives…) avec bien évidemment la dose de précarité et la dose de déloyauté accompagnant cette liberté de changer d’avis
A l’évidence, notre futur sera dépendant de notre aptitude collective à dépasser et transcender ces deux contradictions.
Revenons un peu en arrière pour mieux comprendre ce qui nous arrive !
Les trois convictions fortes et fondatrices de nos sociétés occidentales sont issues du siècle des « Lumières » qui fonda la modernité. La première de ces trois convictions est la pratique de la tolérance (universalisme et relativisme). La seconde repose sur la recherche du bonheur (eudémonisme et hédonisme), la troisième étant la certitude que le progrès matériel entraînera le progrès moral de l’humanité (matérialisme et progressisme donc). En 2021, il faut être aveugle ou insensible pour ne pas voir que les « Lumières » au mieux clignotent au pire se sont éteintes et qu’il faudra bien retrouver d’autres convictions fondatrices pour inventer la société de demain. En réponse à des époques révolues, trois courants émergent dans notre société :
- La force sécuritaire qui tend à s’enfoncer, la tête dans le sable, pour rallonger la survie de toutes les institutions politiques, économiques et sociales pourtant dépassées : C’est la voie de l’hyper-modernité.
- La force réactionnaire qui tend à imposer un retour en arrière nostalgique ou utopique (populisme, extrémisme, moralisme…) : C’est la voie de l’anti-modernité.
- La force évolutionnaire qui tend à promouvoir le nouveau monde du nouveau paradigme qui est en train de naître : C’est la voie de la post-modernité.
Ces trois courants traversent la société en la divisant et en la clivant bien plus qu’en la rassemblant.
Nous sommes en réalité « cisaillés » par une société éclatée !
Ces trois courants, parfois très antagonistes, expliquent aussi les différents problèmes rencontrés dans le management de la société d’aujourd’hui. Le premier problème est pour les politiques. En effet, la société ne veut plus être un simple objet ballotée de droite à gauche au fil des élections. La société se rêve aujourd’hui en vrai sujet en revendiquant d’avoir « voix au chapitre ». Mais un problème peut en cacher un autre ! En effet, en étant divisée, éclatée et laminée dans ses intentions, la société n’a pas (encore?) de « projet commun » et encore moins de « trajet commun » pour construire et avancer une alternative crédible face aux politiques. Cette absence d’intention collective de la part des politiques et de la société pour se fédérer autour d’un projet et d’un trajet commun aboutira à une inéluctable communautarisation de la société et satellisation de la politique pour le pire comme pour le meilleur…A moins que !
Une nouvelle hiérarchie se met tranquillement en place !
A l’évidence, notre époque nous réinterroge sur un point quelque peu oublié : En effet, il est peut-être temps de se rappeler que pour bien vivre ensemble, il est nécessaire de partager collectivement une certaine idée de ce qui est juste. Or, même si la majorité des gens conserve un fond pacifique, nous avons de plus en plus de mal collectivement à partager une vision commune de ce qui est juste, ce qui a pour conséquence de saper les fondements de notre idéal sociétal. En réaction à ces fondements qui se dérobent, la colère, le repli, la haine, la frustration, le dégagisme, bref, les états d’âme prennent le pouvoir et dessinent une hiérarchie des valeurs entre :
- Les valeurs dominantes qui concernent la proximité affective (Confiance, Amitié, Amour, Famille…etc.)
- Les valeurs importantes qui concernent la proximité active (Solidarité, Travail, Courage, Lien…etc.)
- Les valeurs secondaires qui concernent tout ce qui parait lointain (Institutions, Autorité, Etat, Syndicats…etc.)
Il y a dans cette nouvelle hiérarchie tous les maux (mais aussi peut être tous les mots) de la société de demain. Une chose est certaine, l’avenir n’est jamais un « retour à »…. En effet, quand un nouveau paradigme nait, il n’efface jamais totalement l’ancien, il se contente de le satelliser, de le périphériser.
Quels sont les collatéraux obligatoires pour vivre ensemble ?
Si l’avenir n’est jamais un retour à, il est donc toujours à inventer, sans table rase, sans amnésie, sans rejet de l’histoire mais toujours en faisant émerger quelque chose de neuf en phase avec son temps ! Le XXème siècle puis le début du XXIème a vu la faillite de presque toutes les institutions (l’église, l’état, le régalien, l’école, la famille…etc.). Face à ce grand désarroi, la société civile est en train de divorcer de la classe politique (par rejet des promesses éternelles), de la classe patronale (par rejet d’une employabilité éphémère) et de la classe académique (par rejet des diplômes dépassés et inutiles). Comme toujours, les périodes d’évaporation (perte de sens) et de re-concentration (regain de sens) se succèdent. Nous vivons la fin d’une période d’évaporation politique, économique et philosophique. Une période de re-concentration s’ouvre donc avec ses opportunités et ses changements. Sans projet collectif fort, toute société est à la merci de communautés (même très petites) déterminées à affirmer, voire à imposer, leur identité tranchée et leur vocation forte. C’est pour cela que chacun doit être vigilant !
Pour conclure…
Au XXème siècle, peut-être par orgueil, la grande idée sociétale c’était réussir dans la vie ! Au XXIème siècle, surement par modestie, la grande idée sera réussir sa vie ! Ce n’est pas du tout la même problématique…Ne nous étonnons donc pas des changements émergeant sous nos yeux…même si réussir sa vie ne répond pas à l’évidence à une recette universelle. Il y a aujourd’hui deux grandes conceptions possibles de notre société : On peut la voir comme un lieu de la préservation des droits individuels ou comme un lieu de la construction des devoirs collectifs. A partir de ces deux représentations, notre société doit-elle devenir un lieu d’ajustement mutuel minimal ou un lieu d’épanouissement authentique pour chacun ? Autrement dit, des deux propensions à la distinction et l’intégration, laquelle doit-elle être amplifiée et laquelle atténuée ? De cette réponse (certainement politique) dépendra le prochain curseur entre sécurité collective et liberté personnelle. Vivre-ensemble, c’est vivre quelque chose ensemble et non pas simplement cohabiter !