(R)évolution des modèles managériaux : Freins et leviers potentiels
En management, l’important n’est pas d’exiger mais d’obtenir.
Cette nuance doit nous faire réfléchir sur les évolutions à apporter à nos techniques managériales. Cette introduction est d’autant plus utile que dans une entreprise donnée, plus l’écart entre le modèle (pondu) et le réel (vécu) est important et plus l’apport d’énergie nécessaire pour combler cet écart essore l’ensemble des ressources de l’organisation (à commencer par les ressources humaines). Dans une époque de profondes mutations et de fulgurantes accélérations technologiques, cet écart est vécu en mode majeur par le middle management dans les structures centralisées, hiérarchisées et maintenant digitalisées. Rappelons-nous, concernant la digitalisation, que la technologie ne résout pas les problèmes. Elle ne fait que les déplacer ! C’est seulement ce que les Hommes font de la technologie qui parfois résout quelques problèmes. Alors, si l’on veut vraiment que technologie et énergie se renforcent mutuellement, le management doit créer les conditions d’une aventure au moins aussi agréable que profitable. Dit autrement, la mission du management est certainement de réunir les conditions nécessaires pour obtenir plus de résultats avec moins de stress et plus de plaisir. Mais pour réellement vivre cette aventure, il est nécessaire d’identifier les freins actuels et les leviers possibles.
Tout ce qui se manage se mesure : Vraiment ?
Pour disséquer les freins essentiels aux vraies (r)évolutions managériales, remarquons déjà que globalement les modèles managériaux en vogue préfèrent comparer et différencier, que globaliser et intégrer. Ils sont donc plutôt analytiques que holistiques d’où la manie de tout ramener à ce qui est mesurable plutôt qu’à ce qui observable. Et pourtant, dans la vraie vie, l’intuition découvre, la réflexion consolide et la sensation valide n’est-ce pas ? Voilà comment fonctionne, à juste titre ou pas, le logiciel des gens. Ce décalage entre les modèles et le réel crée bien évidemment un fossé entre ceux qui pilotent et ceux qui sont pilotés et ce fossé crée à son tour de l’indifférence voire de la méfiance entre les uns et les autres. Cette indifférence et cette méfiance s’expliquent clairement par les fantasmes des techniques de management dites modernes (tout contrôler, tout mesurer) qui produisent bien souvent des fantômes (les gens sont là sans être vraiment là). A l’évidence, l’industrialisation du management a rendu les managers aveugles à tout ce qui n’est pas mesurable et quantifiable, d’où des carences de sens, d’intuition, d’intention, de simplicité, d’innovation et d’harmonie. Malgré ces évidences, force est de constater que ces modèles font de la résistance d’abord par confort (il est bien plus confortable de piloter ce que l’on peut mesurer) ensuite par peur (en effet il faut être courageux pour tenter de piloter ce qui ne se mesure pas vraiment car vous ne pouvez pas immédiatement présenter un tableau de bord à votre comité de direction).
Pour changer réellement de modèle, il faut déclarer la guerre au travail !
Pour envisager les leviers potentiels pour sortir des limites et des impasses des modèles actuels, commençons par être provocateur en disant qu’il serait bon de déclarer la guerre au « travail« , non pour que la paresse ou l’oisiveté l’emportent, mais pour que la joie d’un vrai métier, parfaitement assumé et mené, triomphe. On parlera alors moins de stress ou de risques psychosociaux et plus de passion et de gout de l’aventure. Cette guerre au travail pourrait être menée par les leaders constructifs (15% des effectifs environ) qui pourrait séduire au moins une partie des collaborateurs suiveurs (environ 60% des effectifs) et peut être même quelques collaborateurs profiteurs (environ 25% des effectifs). Mais comment déclarer concrètement cette guerre au travail ? Déjà en disant haut et fort que tout ce qui se manage ne se mesure pas. La passion et l’enthousiasme en sont deux exemples flagrants. Continuons en disant que si nous voulons que cette passion et cet enthousiasme deviennent vraiment contagieux, alors il est urgent de travailler moins mais mieux. Précisons immédiatement que travailler moins mais mieux ne signifie pas travailler moins d’heures mais faire moins de choses inutiles. Pour faire moins de choses inutiles et se concentrer sur l’essentiel, le management d’une entreprise doit constamment avoir à l’esprit que la dynamique et l’élan d’une organisation dépend de trois alliances clés
1/ La première alliance concerne le lien entre la passé et le futur. Cette alliance exige de répondre à cette question : Quel lien existe-t-il entre la tradition de l’entreprise et l’innovation exigée par l’environnement ?
2/ La deuxième alliance concerne le lien entre l’intégration de tous et l’accomplissement de chacun. Cette alliance exige de répondre à cette question : Dans les attitudes et les postures, est ce que l’on cherche à être tous pareils ou est que l’on cherche à « être unique ensemble » ?
3/ La troisième alliance concerne l’équilibre entre la centralisation et la distribution de l’intelligence au sein de l’organisation. Cette alliance exige d’étudier de près quel est l’équilibre entre la voie hiérarchique top-down et les initiatives bottom up pour s’assurer d’un équilibre optimal entre obéissance collective et engagement individuel
Comment entrainer les managers à sceller ces trois alliances ?
Pour toute organisation, sceller ces trois alliances doit devenir le cœur des missions managériales. Les managers doivent donc être formés sur trois compétences essentielles
- Comprendre qu’il n’y a pas de changements acceptés sans de solides fondements respectés. Dit autrement, l’innovation doit être au service de la tradition. Cette tradition peut être sa raison d’exister, ses valeurs, son éthique, sa noblesse, son identité, sa simplicité…Bref tout ce qui est sacré pour l’organisation ! L’innovation doit renforcer et sublimer la tradition et non l’agresser
- Apprendre à animer une organisation capable de créer une synergie entre autonomie et solidarité. Le mécanisme intime de cette synergie est le suivant : la solidarité renforce l’autonomie (l’appartenance collective est au service de l’autonomie de chacun) et l’autonomie renforce la solidarité (le libre engagement de chacun nourrit la force collective).
- Expérimenter que le passage d’une organisation en mode top down à une organisation en mode bottom up ne doit pas être une révolution (faire tout en un seul coup) mais une refondation qui exige de bien séparer pour chaque projet trois rôles principaux : le directeur, celui qui tranche, l’expert, le dépositaire de l’autorité sur le sujet et l’animateur, celui qui transmet l’enthousiasme et la passion. Pour les managers ayant tendances a cumuler ces trois rôles, cela demande de lâcher prise mais c’est à ce prix que l’intelligence irrigue toute l’organisation avec des gains spectaculaires en termes d’engagement individuel et collectif
Ces trois compétences sont à mettre d’urgence au programme de toutes les écoles de management pour les étudiants et dans toutes les formations et reconversions pour les adultes. En effet, dans une période de profondes mutations, l’avenir de chacun (et donc des autres) dépend de l’équilibre qui se met en place entre précarité (due aux profonds changements en cours) et vitalité (nécessaire pour reconstruire de nouvelles bases).
Pour conclure
Tout l’art de révolutionner un modèle managérial est de créer une dynamique entre rigueur (exigence), bienveillance (indulgence) et inspiration (clairvoyance). Le manager dans un environnement calme et lisible est une force au service de l’ordre. Mais dans un environnement plus chaotique, plus incertain et plus illisible, le manager doit laisser sa place au leader avec une inspiration au service d’une innovation. L’histoire des entreprises solides et pérennes a montré que sans ordre on est incapable de survivre mais sans désordre on est incapable d’évoluer et de s’adapter. Cette vérité s’applique pleinement à la nécessaire réinvention des modèles de management !