Gouvernance des entreprises : Le management peut-il se libérer de ses idéologies ?
En management comme ailleurs, le système est contesté !
En management, comme ailleurs, toute naissance d’un nouveau paradigme s’accompagne d’une hétérodoxie stigmatisée. L’esprit libre de certains pionniers sensibles à l’air du temps représente, pour les gardiens du temple, une sorte de corruption. Court-circuiter les dogmes, les conventions ou encore les certitudes est souvent un crime dans l’univers de l’entreprise « feutrée » où tout a été homogénéisé, rationalisé et « process-isé ». S’attaquer à « la machinerie », simplement en la questionnant, c’est s’attaquer à la raison d’être du système mis en place pour maitriser et dominer son environnement. Le sens de ce système a été conçu comme un sens unique : Top-Down : La direction décide, les soldats exécutent et les tableaux de bord tracent (souvent aveuglément) l’exécution. En réaction à ce système, certains managers « hors la loi » se rebiffent. Là où le système hachait la vie de l‘entreprise mécaniquement, ces aventuriers du management tentent de faire émerger des tranches de vie organiquement en incorporant tous les ingrédients vitaux et souvent contradictoires de la sève d’une entreprise : la raison et la passion, la durée et l’intensité, l’enjeu et le jeu, le progrès et les regrets, l’ordre et le désordre, l’harmonie et le conflit…
En réaction à cette contestation, le système tente de tout verrouiller
Evidemment, tous les va et vient de ces ingrédients vitaux sont assez incompatibles avec le sens unique proposé par le système top-down encore en place. Cette incompatibilité provient de l’arrogance de son management prétendant, sur le papier, canaliser les torrents de plus en plus tumultueux de la pratique. Malgré les alertes assez nombreuses pour souligner la portée un peu étriquée de ce sens unique, l’obstination règne pour sauver le système. Ainsi, après l’espoir quelque peu déçu de la réduction du réel à une machine mécanique pendant l’ère industrielle, notre époque vit une autre tentative de réduction du réel, cette fois, à une machine numérique. Tous ces « penseurs » industriels puis « numériques » ne veulent pas comprendre que le réel n’est ni mécanique ni numérique. Sans surprise donc et de manière assez pragmatique, le nouveau paradigme managérial qui fleurit çà et là, répond à cette arrogance technique par une modestie critique dans l’approche des situations. La carte n’est pas le territoire comme dirait l’autre. Le management n’est ni une équation mathématique ni un programme informatique. Les managers se tirent une balle dans le pied et épuisent leur équipe en continuant de préférer une intelligence assistée par ordinateur à une intelligence crée « in situ » par les initiatives humaines. C’est précisément cette prise de conscience qui éveille actuellement une sensibilité managériale renouvelée et ré-enchantée.
Le chef cherche à avoir raison tout seul. Le leader cherche une raison d’être-ensemble
Cette sensibilité pour repérer et analyser le pluriel du réel caractérisera le leader de demain. Cette pensée nouvelle est souvent considérée comme quelque peu anomique et hétérodoxe, toujours à contrecourant de la bienpensance dogmatique. Elle se permet, en effet, de la relativiser au profit d’une pratique privilégiant les singularités aux généralités. Il est surprenant de constater que ce pragmatisme managérial rend parfois hors la loi, aux yeux des dépositaires du système, ces managers renifleurs et agitateurs. Il n’en reste pas moins, qu’avec courage, quelques pionniers poursuivent pas à pas leur œuvre. Le paradoxe de l’histoire est que la fécondité de ces nouvelles approches est parfois récupérée par le système et tend donc à le renforcer. En se conduisant en mécréant du management, ces leaders tracent de nouvelles voies et participent, chemin faisant, à une avancée progressive à travers le clair-obscur de l’art managérial. Pour caractériser d’un mot cette progression disons que le chef (le manager de l’ancien paradigme) cherchait à avoir raison tout seul alors que le leader (l’animateur du nouveau paradigme) cherche « une raison d’être ensemble » : Deux époques, deux démarches, deux métiers, forcément incomparables !
Le management de demain refondera l’idée d’humanisme…
Quand on est aveuglé par ses certitudes, savoir c’est parfois se faire avoir. Le temps d’une refondation du management est venu. Ce n’est plus le gros qui manage le petit. Aujourd’hui c’est l’agile qui mange l’inerte. Pour relayer cette volonté d’agilité, le rôle social de l’entreprise sera d’abord et avant tout de favoriser l’initiative individuelle et collective en devenant le lieu d’une alliance entre un engagement individuel et une promesse collective. Dans cette hypothèse, le management deviendra lui aussi une alliance c’est-à-dire un pacte mené avec tact. Être un humaniste, c’est d’abord faire confiance à l’autre pour s’assumer et prendre ses responsabilités. C’est donc un choix en faveur de l’humain et de son génie. Pour défendre cet humanisme-là, il est nécessaire, d’accepter l’idée que de se remettre en cause et faire preuve de confiance en soi vont de pair. Malheureusement, le dogme est un mélange préfabriqué de raison et de foi et, pour l’instant, les élites préfèrent encore sauver la face que de perdre confiance dans le système. Dans la majorité des cas, cette rectitude retarde les évolutions nécessaires de l’entreprise et de ses modes d’organisation et de gouvernance.
Une charte d’entreprise en trois articles pour reconnaitre le leader de demain
Plutôt que de renouveler leur vision, certains managers préfèrent se réfugier dans l’illusion. Au fond, dans les entreprises comme ailleurs, il y a ceux qui mise sur l’évidence et ceux qui misent sur les croyances. Le présent et la réalité sont les deux moteurs des premiers pour faire émerger de vrais changements basés sur de vrais fondements. Les promesses et ses mythes sont les deux flotteurs des seconds pour sauver un système usé et saturé. Celles et ceux qui misent encore sur des croyances surannées souhaitent toujours être les meilleurs du monde croyant toujours tout dominer. Celles et ceux qui misent sur l’évidence se contentent simplement d’être meilleurs pour le monde.
Cet ajustement d’ambition est plein de sagesse. Pour conclure, esquissons une réel et nouvelle gouvernance des entreprises en une charte en trois articles :
Article 1 : L’entreprise a pour vocation de générer, en interne, une qualité de vie durable sans utopie ni nostalgie
Article 2 : La qualité de vie générée en interne doit permettre à l’entreprise de générer en externe des produits et/ou des services avec une forte valeur d’usage pour ses clients.
Article 3 : Le règlement intérieur de l’entreprise doit répondre à une question essentielle « On est ensemble pour quoi faire ? et doit ensuite laisser à chacun la liberté et la responsabilité de servir cette vocation