Sélectionner une page

Place de l’intuition dans le management des entreprises en période d’incertitude

vendredi 12 mars 2021

« Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas ».

Cette célèbre citation signifie-t-elle un abandon de la raison, une incitation à une irrationalité ou encore plaide-elle pour un antirationalisme ? Non pas tout du tout. Il ne s’agit pas de cela. Il s’agit juste de remettre la raison à sa juste place, dans sa juste perspective, en observant tout d’abord que la raison, pure et dure, n’a jamais rien créé de grand. Tous les grands penseurs, scientifiques en tête (de Galilée à Einstein ou Bohr, en passant par Newton) sont d’abord des passionnés qui utilisent, après coup, leur raison pour justifier et formaliser leurs géniales trouvailles. Cette réalité doit nous faire réfléchir sur l’utilité d’inverser la logique des « Lumières » en subordonnant la raison à l’intuition. Avec ce regard inversé, la célèbre phrase de Pascal pourrait se ré-écrire ainsi : « L’intuition a ses raisons que la raison ne connaît pas ». Cette introduction prend tout son sens quand on observe de près la place de la raison dans le management des entreprises en période de fortes incertitudes, dans les gestions de crises ou encore dans des moments de très fortes intensités. Dans ces moments-là, la raison est-elle une échasse ou une béquille ?

L’écart entre le modèle pondu et le réel vécu essore les ressources humaines

A l’évidence, dans les entreprises comme ailleurs, nous vivons dans un environnement de plus en plus turbulent (les interactions augmentent en nombre et en intensité), de plus en plus changeant (les règles sont moins fréquentes et les aléas plus nombreux) et donc dans un monde moins stable (les imprévus augmentent).  Guidées par la raison, les organisations centralisées répondent à ces trois défis en tentant de diminuer les interactions (par ordres top down), de diminuer les aléas (par multiplication des procédures et process) et de diminuer les imprévus (par planification et reporting). Evidemment, il y a dans cette « raison » beaucoup d’artificialité, ce qui creuse l’écart entre le modèle pondu par les gens d’en haut et le réel vécu par les gens d’en bas. Ajoutons, pour prolonger la réflexion, que c’est dans cet écart que la perte de confiance entre les uns et les autres prend ses racines.

La raison ne fait que justifier ou valider un processus souvent « prédéfini ».

La raison ne crée rien, ne décide rien, ne choisit rien. La raison est en réalité souvent précédée par un désir définissant le cap, par une intuition esquissant le chemin puis par une volonté faisant progresser sur le chemin menant au cap. C’est seulement après tout ce processus que la « raison » essaie de donner raison à nos désirs, nos intuitions et notre volonté. Mais alors pourquoi toujours mettre en avant la raison ? L’observation des comportements managériaux montre à l’évidence la raison est souvent présentée comme le plus fort moyen de domination. C’est peut-être vrai dans un environnement stable, tranquille et prévisible mais c’est beaucoup plus contestable dans un monde devenu instable, effervescent et imprévisible. En période de fortes incertitudes, dans les gestions de crises ou encore dans des moments de très fortes intensités, une grande part de l’intelligence échappe à la raison et n’est accessible qu’à l’intuition. A cet égard, lesaut de complexité de ces dernières années a entraîné avec lui un saut d’incertitude en mettant un bon nombre de managers (et de consultants) dans leurs petits souliers.

Pourquoi avons-nous des salariés plutôt obéissants mais assez peu engagés ?

Tout simplement parce que l’obéissance est basée sur la raison alors que l’engagement est basé sur l’intuition. Cette vérité est encore plus vraie aujourd’hui qu’hier. En effet, dans l’incertitude, sous forte pression ou sous haute intensité, l’intuition découvre ou ressent, l’expérimentation valide puis la raison explique avec parfois souvent des boucles de retro-régulation comme souvent dans tout système complexe. Précisons pour bien comprendre les propos qu’en management, comme ailleurs, l’intuition est bien plus qu’un vague feeling. L’intuition prend en réalité sa source dans une profonde expérience et connaissance du sujet dont on parle. C’est encore un avantage compétitif durable de l’Homme sur la machine. L’intuition, au fond, est cette capacité d’entrer directement en reliance et en résonance avec la situation alors que l’instinct est la capacité de réagir sans passer par l’intellect. Il doit y avoir un « pont » entre intuition et instinct puisque pour pouvoir réagir, il faut d’abord ressentir. Il se pourrait bien que ce pont soit tout simplement l’expérience. Une chose est certaine : Quand on s’interroge sur les mécanismes de l’intuition, on comprend mieux pourquoi elle génère de l’engagement.

Quand tout s’accélère, penser devient plus illusoire que ressentir.

Cette prise de pouvoir de l’intuition sur la raison a une conséquence majeure sur les techniques de management dans les entreprises : les techniques de synchronisation (optimiser ce qui arrive) deviennent plus efficaces que les techniques de planification (prévoir ce qui va arriver). Les entreprises les plus performantes ont traduit opérationnellement cette bifurcation de la planification à la synchronisation en faisant toujours le même métier (pour optimiser l’expertise de l’entreprise) mais jamais de la même façon (pour optimiser les situations et les marchés qui s’offrent à l’expertise). La planification est une vaste machinerie pour maitriser les choses. La synchronisation est une belle symphonie pour faire vibrer les choses. Le management par temps calme a privilégié la planification à la synchronisation. Le management en période d’incertitude ou de crise fait le pari inverse. Mais attention, pas question de confondre cette manière de faire avec le hasard, l’absence de règles, de cohérence, de corrélations, de logique de volonté et d’intention. Au contraire, l’entreprise en période d’incertitude est d’autant plus performante que l’intuition collective est claire et que la cohésion est forte et c’est d’ailleurs pour cela, qu’en management comme ailleurs, rien n’arrive jamais par hasard !

Le management d’hier était dicté par l’ordre, celui de demain par le désordre !

Les grands principes du management actuel sont basés sue la linéarité, la règle, l’homogénéisation, la prévisibilité, la perfection. Or ce que nous vivons de plus en plus fréquemment c’est l’ incertitude, la variabilité, l’imperfection, la volatilité, l’inconnu, le bouleversement. Cette évolution s’explique par le passage progressif d’un ordre mécanique à un ordre organique. En effet, en management comme ailleurs, tout ce qui est mécanique est prévisible, analysable, rationalisable, planifiable, hiérarchisable. A l’inverse tout ce qui est organique survient par création, interaction synchronisation, intuition, réticulation, fécondation. Reste à savoir, pour bien  piloter des projets, des hommes, des situations, la part mécanique et la part organique de chacun. Une chose est certaine : En management, tout ce qui est cohérent n’est pas forcement ordonné. C’est pour cela que dans les entreprises, comme ailleurs, rien de précieux n’est reproductible à l’identique. Tout ce qui a une réelle valeur émerge en générale d’une intuition et/ou d’une intention forte et claire mais rarement d’une raison pure et dure.

Pour conclure

Ce qui manque le plus au fond dans les entreprises pour apprécier l’incertitude que nous propose notre époque, c’est un profond renouvellement de la manière de travailler ! On ne peut pas réinventer une époque sans réinventer notre manière de travailler. Concluons donc notre réflexion en posant quelques questions pour nourrir une entreprise, un projet, une communauté, de quelques intuitions essentielles

  • Qu’est-ce que l’on partage ensemble ? (Intuition d’une mémoire commune)
  • Qu’est-ce que l’on veut faire ensemble ? (Intuition d’une volonté commune)
  • Qu’est ce qui nous fait vibrer tous ensemble ? (Intuition d’une sensibilité commune)
  • Quels méthodes, règles, codes, partage-t-on ? (Intuition d’un langage commun),
  • Qu’est ce qui caractérise notre éthique, nos valeurs, nos choix (Intuition d’une conscience commune)

Ces intuitions sont susceptibles de relier les énergies (c’est-à-dire dépasser et transcender le travail en silo), de construire un tout cohérent à partir d’un tas dispersé (c’est-à-dire d’etre creatif), de transmettre de la passion et de l’enthousiasme (les deux maladies les plus contagieuses dans une entreprise) et de mettre en place un vrai travail d’équipe dans lequel chacun peut faire converger ses raisons de s’engager ou pas…

 

Articles conseillés

Quelques lignes de bonheur pour les managers en 2023 et après

C’est un fait, les managers les plus impactants passent plus de temps sur le pour-quoi (finalité ou causalité des choses) que sur le comment (modalités des process ou autres). Cela signe la quête de #sens dont toute motivation se nourrit. Alors pour aimer son job de...

Quelle promesse pour la société de demain ? Business case pour la campagne présidentielle !

Notre recherche de liberté se retrouve (provisoirement) dans une impasse ! Depuis la chute du mur de Berlin, un vent de (soi-disant) liberté souffle sur le monde et ce vent est incarné par le marché d’une part (la liberté économique) et la démocratie d’autre part (la...

Management des organisations : Regard critique sur l’engagement des équipes

En management comme ailleurs, le confort endort ! On le sait tous, le confort est un matelas sur lequel on s’endort alors que la contrainte est souvent  un ressort sur lequel on rebondit. Cette réalité explique que l'intelligence collective s'exprime surtout face aux...

Management, planification et synchronisation : La valse à 3 temps

Plus un système devient complexe et moins il devient prédictible dans le temps. C’est le point commun entre la météo (le temps est de plus en plus incertain) et le management des organisations (prévoir ce qui va se passer dans le temps est de plus en plus difficile)....

Sociologie : Quelques exemples d’évolution des valeurs sociétales

De l’unité à l’unicité : le management de nos vies change de finalité Dans la société, comme dans les entreprises, le polythéisme des valeurs est de plus en plus patent. A l’unité d’hier se substitue en tout et partout l’unicité. Dit autrement, les blocs homogènes se...

Et si nous acceptions enfin l’incertitude !

Nous vivons dans un monde CIA - Complexe, Incertain et Ambigu et c’est pour cela que notre niveau de maitrise devient très relatif. Cette incertitude peut aller jusqu’à la peur : La peur de manquer, la peur de l’étranger, la peur du déclassement, la peur de...

Vers un changement de paradigme des compétences

      Le management des compétences navigue aujourd’hui entre tension et crispation. Le rêve de toute organisation dans une période de changements est de voir une vraie rupture dans la façon de faire et dans la façon d’être de ses collaborateurs. Ce...

Comment bien vieillir malgré tout?

Comment bien vieillir malgré tout ? Regard décalé sur une certaine Sagesse*. Mieux vaut être en travaux plutôt qu’un produit fini ! Voilà une bonne résolution pour bien vieillir. La caractéristique de ce qui est vivant est de se transformer. Le parti pris de la...

Parfums d’été

Parfums d’été Le management, au fond, c’est réaliser des choses extraordinaires à partir de choses ordinaires grâce à des managers à la fois vrais et hors normes. Six parfums composent l’alchimie de ce type de leadership : un parfum de noblesse dans l’intention, un...

Chef, digitalise-moi

Chef, digitalise-moi ! L’Homme est devenu le maillon faible de son espace-temps Le digital est une révolution technologique et un tsunami managérial. Pour la première fois de son histoire, l’homme est en effet devenu le maillon faible de son espace-temps. Ce n’est...

Management des organisations : Réflexion de fond sur le pilotage de la performance

Management des organisations : Réflexion de fond sur le pilotage de la performance En management, comme ailleurs, le problème n'est pas de piloter l’activité à l’aide d’indicateurs clés ou de révolutions technologiques X ou Y. Le vrai problème est de savoir si les...

Peut-on (encore) faire confiance au progrès technologique ?

Peut-on (encore) faire confiance au progrès technologique ? Ce début de XXI siècle est décidément un mélange très tumultueux entre des promesses de progrès inimaginables au XX siècle et des stigmates très persistants du « vieux monde » comme disent certains....

Le management peut-il réinventer l’espace-temps du travail ?

Lieux et liens au travail sont très cloisonnés. Le contrat de travail prévoit un lieu de travail précis mais ne prévoit aucun lien précis entre les personnes sauf des liens hiérarchiques. Le management peut-il réinventer le temps et l’espace économique ?

Dé-chainez-vous !

Dé-chainez-vous, cela fait un bien fou ! La liberté, çà ne se donne pas, ça se gagne… On ne naît pas libre, on n'est pas libre, on le devient et le chemin pour le devenir passe par un difficile et long travail intérieur à mener sur trois voies parallèles : la clarté...

le grand virage des managers

Pourquoi avons-nous besoin de nouveaux managers dans le paradigme en devenir ? La finalité d'une entreprise n'est ni de créer de l'emploi, ni d'enrichir ses actionnaires. La finalité d'une entreprise est de créer de la valeur d'usage et d'enrichir ses savoir-faire....

Management des organisations : Il est temps d’être « politiquement incorrect » !

Management des organisations : Il est temps d’être « politiquement incorrect » ! Technologiquement, on a déjà inventé l’entreprise de demain. Tout le monde peut s’en apercevoir pour le pire et le meilleur. En revanche, humainement parlant, on peine à trouver de...

Sérendipité ou l’art d’avoir de la chance

Sérendipité ou comment saisir les opportunités dans un monde devenu imprévisible ? La sérendipité est un mot à l’histoire singulière. Sur le plan phonétique, il n’a ni le charme ni l’usage commun de son homologue anglais (serendipity). Le sens le plus profond de ce...

La FéminiTé, une parfaite illustration des années en Té…qui nous attendent

Chacun le constate au quotidien : Le monde devient turbulent, effervescent voire violent. Nous vivons, irrésistiblement et irréversiblement, le passage d’un monde à un autre. Nous vivons aussi, plus ou moins douloureusement, le passage d’une logique à une autre avec à...

Les big data de la motivation

Big data de la motivation La motivation : un bien précieux en période de saturation La plupart des entreprises et des organisations sont confrontées à  un changement de modèle économique. A ces profonds changements, potentiellement déstabilisants pour les...

(R)évolution des modèles managériaux : Freins et leviers potentiels

(R)évolution des modèles managériaux : Freins et leviers potentiels En management, l’important n’est pas d’exiger mais d’obtenir. Cette nuance doit nous faire réfléchir sur les évolutions à apporter à nos techniques managériales. Cette introduction est d’autant plus...

MPM TV

Abonnez-vous à notre newsletter