Peut-on (encore) faire confiance au progrès technologique ?
Ce début de XXI siècle est décidément un mélange très tumultueux entre des promesses de progrès inimaginables au XX siècle et des stigmates très persistants du « vieux monde » comme disent certains. L’actualité quotidienne ne fait, au fond, que refléter ce paradoxe. Les « collapsologues » d’un côté et l’intelligence artificielle de l’autre sont peut-être les deux symboles les plus forts de cette précaire cohabitation entre deux mondes, deux logiques, deux paradigmes qui se croisent sans se comprendre. Aujourd’hui, dans les sociétés dites de progrès, nous vivons un étrange paradoxe : Les technologies sont, en effet, considérées à la fois comme la solution et le problème à pas mal de nos problèmes. La technologie semble même être au centre de tout. Via l’intelligence artificielle, elle se permet même de défier l’Homme ! Remarquons au passage qu’elle se permet cela au moment même où elle apprend aussi à parler et à écouter (Cf enceintes connectées et autres). Pour la première fois de notre histoire, la technologique ne va pas créer une classe d’exploités mais potentiellement une classe d’inutiles. En effet, que faire des gens quand l’intelligence artificielle fera le job de Monsieur Tout le Monde, mieux que Monsieur tout le Monde ? Nous verrons bien. Une choses est certaine : L’inégalité n’est jamais aussi forte que quand les masses perdent leur utilité économique car c’est à ce moment-là qu’elles sont délaissées par les états et les élites. Personne ne maltraite vraiment son esclave tant qu’il est utile. Mais quand il devient inutile, on n’est certes plus exploité mais souvent en grand danger. Les chevaux sont devenus inutiles quand on a inventé les tracteurs. Les ouvriers sont devenus inutiles quand on a robotisé les chaines de montages. Et bientôt, les médecins pourraient devenir inutiles si les robots nous soignent mieux et plus vite qu’eux.
En plus d’être parfois envahissante, la technique est aussi très déconcertante.
En effet, remarquons que nous n’avons peut-être jamais été aussi seul devant nos problèmes alors que la planète est entièrement connectée. Comment expliquer ce paradoxe ? Peut-être en rappelant que, depuis toujours, les sociétés humaines reposent sur un besoin de « faire confiance à quelque chose » pour se rassurer sur ce qui nous angoisse ou nous inquiète. Historiquement, l’Homme a d’abord fait confiance à la Magie (l’époque Mythologique), puis à Dieu (l’époque Théologique), puis à lui-même (l’époque Humaniste). Il semblerait qu’il s’organise désormais un transfert de confiance vers la Machine et c’est cela qui explique l’explosion de l’intelligence artificielle. L’intelligence artificielle est donc peut être un transfert de compétences (nous verrons bien dans quelques temps) mais d’ores et déjà un transfert de confiance d’où la conduite autonome, les diagnostiques automatisés en médecine, les recrutement pilotés par algorithmes comportementaux…etc. C’est ni bien ni mal, il faut juste bien comprendre le cheminement pour prendre la distance nécessaire. En revanche, on se sent aujourd’hui plus dépassé qu’augmenté par toutes ces nouvelles techniques et c’est cela qui nous rend de nouveau seul devant nos problèmes désormais existentiels.
Chaque progrès crée ses propres richesses et les inégalités qui vont avec.
A l’ère agricole, la terre était l’actif le plus précieux. Elle a donné à manger à beaucoup plus de monde qu’à l’ère des chasseur-cueilleurs mais a créé les aristocrates et les roturiers. L’ère industrielle et la mondialisation ont fait sortir de la grande pauvreté des millions de gens et ont créé des inégalités économiques (en termes d’argent) sans précédent mais encore acceptables par la création d’une classe moyenne et part l’utilité des masses pour produire la croissance (industrielle). L’ère numérique et l’intelligence artificielle créeront une biologie augmentée et des inégalités biologiques sans précédent et les riches pourront s’acheter non seulement tout ce qu’ils souhaitent en termes matériels mais aussi une « existence augmentée » en termes de QI, d’espérance de vie, de force physique…etc. La valeur productive des masses dans une économie de la connaissance étant beaucoup plus faible que dans une économie industrielle, la tentation de se débarrasser des « inutiles » sera très grande. Espérons alors qu’au lieu d’utiliser des humains déclassés manipulés par des ordinateurs augmentés, l’économie tentera de développer des humains augmentés manipulant des ordinateurs laissés à leur juste utilité. Mais ce scénario optimiste n’est pas certain ! En effet, l’intelligence artificielle a le pouvoir de concentrer les intelligences dans les mains de quelqu’un ce qui sera potentiellement la porte ouverte à d’infames dictatures politiques, économiques, philosophiques et même éthiques !
Demain , faudra-t-il être déconnecté pour être libre ?
Avec les progrès notamment industriels, il y a toujours eu des castes technologiques (ouvriers plus ou moins qualifiés, techniciens, ingénieurs, docteurs…). Avec les progrès des sciences de la vie, il pourrait y avoir des castes biologiques (les immortels et les autres, les augmentés et les autres…). La question est centrale car si les algorithmes segmentent de cette manière l’Humanité, ils seront rejetés peut être encore plus rapidement que la religion et la politique ont été rejetées. Il serait bien entendu préférable pour notre avenir de privilégier une intelligence humaine amplifiée et maitrisée à une intelligence artificielle technocratique hors de contrôle ! Les big data (les vaches à data) seront-elles optimiser le potentiel humain de demain ou vont-elles atrophier (définitivement) l’intelligence humaine ? De même que nous les humains résolvons la plupart de nos problèmes en ressentant les choses, l’Intelligence artificielle utilise d’autres moyens (essentiellement des énormes capacités de calcul algorithmique). La sagesse voudrait donc que l’on se dirige vers une coopération plutôt qu’une compétition mais l’histoire ne prend pas toujours le chemin de la sagesse. Il n’existe pas de liberté sans faire de choix alors si l’intelligence artificielle se met à faire tous les choix à notre place, est ce que l’on va vraiment rester libre ? Avec l’humanisme, l’autorité est passé des dieux à l’homme. Avec le transhumanisme, l’autorité pourrait passer des hommes aux algorithmes et autres prothèses numériques. Demain faudra-t-il être connecté pour être assuré ? Faudra-t-il être connecté pour travailler ? Faudra-t-il être connecté pour être soigné, ou encore protégé ? Devant toutes ces questions, on finit par se demander s’il ne vaudra pas être déconnecté pour être libre !
Pour conclure
Le progrès est prêt à nous augmenter et à nous amplifier comme jamais ! Mais une fois que nous le serons, serons-nous épanouis ? Si vous pouviez choisir, que préféreriez-vous : Être augmenté ou épanoui ? Une chose est certaine : Les technologies de demain seront un vrai progrès si et seulement si nous la complétons par une élévation de la conscience humaine. De même que la pluie ne mouille pas le poisson, l’intelligence artificielle est à l’abri des sentiments, ressentiments et état d’âme et c’est parfois pour cela qu’elle séduit tant certains ! Avons-nous suffisamment de conscience pour se faire conduire par l’Intelligence Artificielle ? Nous le verrons très prochainement. En attendant, nous allons tout droit vers une bataille féroce entre intelligence artificielle et conscience humaine. Le vrai problème, avec les futurs robots, ce n’est pas la technique qu’ils embarquent à bord mais la folie potentielle et les intentions de ceux qui exploiteront les techniques de demain car celles-ci seront invasives comme jamais. Seule une conscience humaine augmentée évitera cette folie.