Comment est née la personne postmoderne ?
La personne postmoderne entre tension et cohabitation
Deux tensions à priori contradictoires créent la réalité quotidienne de notre société. D´un coté, les clans, les tribus et les communautés s´agrègent et prospèrent. Ces groupuscules se battent pour des valeurs, des identités ou des idées en se rassemblant. La cohabitation de ces tribus nous rapproche parfois de l´explosion. En miroir de cette agrégation tribale, l´identité de l´individu, brique élémentaire de notre société moderne, se fragmente et s’atomise. L’accélération des flux et des mutations dans un monde hyper-connecté découpe et brouille notre identité et nous sommes parfois proches de l´implosion. La période de transition en cours est une machine à découper les individus. Le risque de la modernité était l’uniformisation. Le risque de l´après modernité c´est l´errance.
La personne postmoderne est la résultante d´une mutation anthropologique
Entre explosion et implosion, les tensions paradoxales traversant notre société sont à l´origine d´une mutation anthropologique. Si une personne de votre entourage vous demande un jour ce qu´est vraiment l´époque postmoderne, répondez lui simplement que c´est le retour de tout de ce que la modernité avait écrasé à commencer par le caractère fondamentalement pluriel et multidimensionnel de l´être humain ! Notons au passage que ce retour à une identité plurielle et multidimensionnelle est à l´origine de nos comportements parfois paradoxaux en tant que citoyens, salariés, parents ou patrons. Comment en est-on arrivé là? Trois « crises majeures », c´est comme cela que l´on nomme en Occident les changements de paradigme, expliquent en grande partie les deux tensions à priori contradictoires décrites : une crise économique et sociale, une crise politique et idéologiques et une crise religieuse.
La personne postmoderne : une identité façonnée par la financiarisation de l´économie.
La « crise » économique et sociale a pour manifestation principale un chômage de masse récurrent depuis les années 1980. Ce chômage de masse a d´une part transformé radicalement le rapport des individus au travail et à leur emploi et d´autre part marginalisé une franche croissante d´individus. Ce fléau du chômage coïncide avec la mondialisation et son corolaire: la financiarisation de l´économie.
Le développement de l´économie financière, indispensable pour prolonger le cycle infernal croissance-endettement-relance, allait tout changer en découplant quantité de production-quantité de travail-quantité de protection. La finance produit de la valeur sans rien transformer. La matière première est de l´argent et le produit fini est de l´argent. On comprend des lors qu´il ne faut pas la même quantité de travail pour opérer la transformation. Cette virtualisation de la transformation a tué la valeur artisanale du travail et soumis le travail industriel à des rendements tout simplement intenables sur le long terme.
La personne postmoderne est prise de vertige car son extérieur va plus vite que son intérieur
Avec la financiarisation de l´économie, la centralité du travail humain s´est effacée et la protection sociale s´est diluée ! Avec la finance aux manettes du monde, tout est devenu possible mais tout est devenu aussi imprévisible. Avec la financiarisation et la mondialisation, la météo passe des éclaircies aux orages en un clic ! De nouvelles tendances et de nouvelles effervescences se succèdent et s´enchainent toujours accompagnées de nouvelles conséquences et de nouvelles séquences bien imprévisibles pour la majorité d´entre nous. Cet extérieur qui va plus vite que notre intérieur explique nos comportements parfois paradoxaux entre excès d´individualisme d´un coté et excès tribal de l´autre.
La personne postmoderne s´est construite en réaction à une saturation idéologique
La « crise » politique et idéologique a pour manifestation principale l´impossibilité de construire un projet collectif qui rassemble les citoyens sur une vision commune et structurée de l´avenir par faillite de l´intérêt général et de l´autorité qui sont de moins en moins admis. La chute du mur de Berlin et l´effondrement du communisme est bien attendu un symbole fort de cette crise idéologique. En ce début de postmodernité, l´établissement de règles et de normes à priori se heurte à des résistances de plus en plus fréquentes. La plupart des sujets, autrefois réservés à la sphère privée et/ou autoritaire, passent désormais dans le domaine publique et démocratique à tel point que la loi est devenue le marqueur social de la prise en compte d´un problème donné et précède parfois les mœurs : il devient fréquent, en effet, de faire voter une loi pour quelques cas isolés. C´est précisément pour cela que l´ère postmoderne ne sera plus une société mais plutôt une mosaïque. Les visions, les valeurs, les intentions ont changé d´échelle. Elles ne concernent plus une nation ou une société, elles concernent une tribu, une communauté, des clans ou parfois même quelques individus isolés. Ce changement d´échelle répond à un saut de complexité sans précédent du monde sous la houlette d´une accélération sans précédent des flux de communication et d´échange. Ce mouvement collectif d´indépendance et de méfiance face à la société d´« en haut » est une impatience manifeste par rapport aux promesses rarement tenues d´une société du progrès comme gage de la cohésion sociale.
La personne postmoderne croit toujours mais en dehors des institutions.
La troisième « crise » majeure est une crise religieuse. Le constat est simple : Les institutions religieuses dans les sociétés occidentales ne mobilisent plus ou mobilisent moins. Mais, après la fin d´un mythe, qu´est ce qu´il a ? Un autre mythe ou plus exactement d´autres mythes ! En effet, dans cette époque postmoderne naissante, on croit toujours voir même plus qu´avant. En revanche, la nature et la fidélité aux croyances à changer. D´abord, on croit en dehors des institutions et des valeurs universelles. Ensuite, on croit de manière plus nomade et plus éphémère. Tout se passe comme si on croyait à plusieurs choses en fonction de l´heure et du lieu. On est passé de la religion et sa morale dogmatique à la religiosité et son éthique très pragmatique. La religiosité c´est une religion tribale. La sécularisation était très moderne. L´après sécularisation est très postmoderne dans le décloisonnement qu´elle implique entre matériel et spirituel, rationnel et irrationnel, public et privé. La personne postmoderne cherche toujours à réconcilier croyance et expérience d´où les rites, rituels, pratiques ou encore cultes en tout genre. Nous assistons à une prolifération et à une effervescence des valeurs chez un même individu. Ces références individualisées n´étant plus hiérarchisées dans le cadre d´institution de référence, elles peuvent donner l´impression d´un individualisme fort d´une part et d´un certain relativisme d´autre part.
La personne postmoderne a réinventé un espace-temps personnalisé
La conjonction de ces trois crises a donné naissance à des générations éduquées entre deux bornes : les pavés de 1968 et la chute du mur de Berlin en 1989. C´est la vie quotidienne de ces générations qui créent le passage à l´après modernité et c´est ce passage qui fait craquer les coutures du paradigme moderne. Nous ne vivons pas une crise. Nous vivons la fin d’un modèle socioéconomique et donc la fin du fameux contrat social. Ce crépuscule engendre une mutation anthropologique profonde, irréversible et radicale menant de l´individu moderne à la personne postmoderne. Le grand défi que pose cette mutation peut se résumer à une question : Quelle sera l´utilité et l´efficacité des forces contradictoires d´individuation et d´intégration que la personne postmoderne semble revendiquer pour affronter les problématiques à venir ?