Les générations nées ou « éduquées » entre les pavés de 1968 à Paris et la chute du mur de Berlin en 1989 ont fait émerger la personne d’aujourd’hui. Le profil de cette personne peut être brossé autour de sept revendications : L´authenticité, la bonne santé, l´imitation, la consommation, l´instantanéité, la « glocalisation », la religiosité.
L´authenticité occupe très certainement la première place de ces sept revendications. « Être soi et pleinement soi » se décline selon deux modalités principales. Tout d´abord, le recours à l´émotion devient un registre privilégié par rapport au recours à la raison y compris dans les domaines publics et professionnels. Ensuite, le vécu et l´expérience sont souvent préférés aux récits et aux théories. Le succès des émissions de téléréalité en est la parfaite illustration sur un plan médiatique.
Parallèlement à ce besoin d´authenticité, la personne d’aujourd’hui revendique « une bonne santé ». Être en bonne santé devient un droit exigé par le patient en tout cas lorsqu´il le souhaite. Le personnel soignant n´a plus une obligation de moyens, il a une obligation de résultats. Il résulte de ce dictat de la santé, quatre conséquences majeures pour notre système socioéconomiques : L´espérance de vie explose, les dépenses de santé augmentent plus rapidement que le PIB, la santé se judiciarise et enfin la « bobologie » envahit les cabinets médicaux et les services d´urgence dans les hôpitaux. La personne d’aujourd’hui souhaite devenir responsable de la durée et de la qualité de sa vie. Elle devient un peu son propre docteur en jouant un rôle en fonction de son mode de vie et/ou de ses addictions dans le contrôle ou le déclenchement de certaines de ses pathologies. L´esthétique et la plastique, par le bien de la chirurgie, sont rentrées dans le giron de cette « bonne santé ». Les corps se modèlent et se mettent en scène de la tête aux pieds pour atteindre ou conserver l´apparence physique rêvée ou désirée. Une nouvelle étape aurait certainement déjà été franchie avec le clonage si certains garde-fous n´avaient pas été prévus par la loi.
La troisième revendication de la personne contemporaine est l´imitation. Avant, on s´autorisait de soi même, le libre arbitre était roi via le contrat social. Maintenant, c´est l´autre qui nous intime d´être ce que l´on est via le pacte social (d´où le mimétisme, le tribalisme, le fanatisme). Avant, on était citoyen d´un état nation qui se servait de nous. Maintenant, nous allons devenir objet de notre destin en devenant militant de causes qui nous dépassent. La crise est un décalage entre l´interprétation du monde par les élites et la vie quotidienne et ordinaire des gens d´en bas. Une des conséquences de ce décalage est que la politique et la morale sont en train d’« exploser en vol ». Le citoyen-sujet devient un militant objet. Il y a un comme retour en force du destin et c’est ce retour en force qui nous jette dans les bras de tribus, de clans ou de communautés plus ou moins éphémères. Avant, on se reliait et s´alliait à l´autre par raison. Maintenant, on s´allie et se relie à l´autre par passion. Les affects circulent plus vite que la raison dans ce monde hyperconnecté. La circulation croissante des humeurs déplace les centres et la nature du pouvoir dans les entreprises et les organisations. Le caractère fondamentalement vertical de la hiérarchie et de l´autorité est de plus en plus concurrencé par le caractère fondamentalement transversal des réseaux et des communautés. La loi du père devient la loi du frère car la raison du père est excluante, clivante et intolérante alors que l´éthique du frère est tolérante, intégrante et fédératrice pour le pire comme pour le meilleur. Dans une tribu on est ensemble avec densité (liaison forte) et intensité (expérience forte) d´où une forte circulation des affects et des phénomènes initiatiques efficaces. Dans une période de mutation qui fragilise et qui déstabilise la plupart des individus , le réconfort relationnel et l´apport initiatique amenés par la tribu expliquent les jeux d´imitation auxquels se prête la personne d’aujourd’hui..
Parmi nos sept revendications cachées, celle de consommer est certainement la plus spectaculaire. L´individu d’avant était producteur. Son successeur est d’abord consommateur farci de publicité et en quête de différenciation par rapport aux autres. Plus question de repoter sa jouissance. L´argent devient l´instrument d´une conquête du présent. Il en résulte un pouvoir d´achat en décalage avec ses pulsions consommatrices. Cette observation explique que la perception du pouvoir d´achat est une question centrale dans la société d´aujourd´hui. C´est précisément pour résoudre cette inadéquation perpétuelle entre pouvoir d´achat et pulsions consommatrices que les générations futures auront besoin, non pas de croissance durable, mais d´enveloppement durable pour exister autrement qu´à travers des billets de banques. En effet, nous sommes passés d´une consommation planifiée pour demain à une consommation « instantanée » ce qui explique aussi que le consommateur soit plus volatil, plus inconstant et plus alternant que le consommateur d’hier. Ce phénomène s´explique non par la perte de repères mais au contraire par multiplication et fragmentation des repères. Cette atomisation des repères peut s´expliquer par une angoisse du futur généré par sa propre incertitude. Cette angoisse du futur à deux conséquences sur la nature de la consommation : la première est que l´on consomme de plus en plus dans sa sphère proche. Cette relocalisation de la consommation reflèterait donc en partie un reflexe de protection. Là deuxième est que l´on consomme en se jetant dans les bras de ses semblables pour mutualiser les craintes et les incertitudes d´où le phénomène des tribus et de leurs signes distinctifs. Le passage d´une consommation planifiée et souvent délocalisée à une consommation instantanée et relocalisée est aussi le reflet d´un phénomène allergique à la consommation accumulatrice et envahissante de l´ère de la mondialisation triomphante
L´instantanée et surtout ses illusions est la revendication liée au temps de notre époque. Le rapport au temps de l´individu est en réalité intiment lié à l´histoire des moteurs. Le moteur à vapeur a permis de changer la vision du monde en découvrant de ses propres yeux des paysages étrangers. Le moteur à explosion a permis un gain d´espace et de temps en permettant d´aller partout en un minimum de temps en particulier avec l´essor de l´aviation. Le moteur de la fusée a permis de s´affranchir de l´attractivité terrestre et de contempler la planète entière en un coup d´œil. Le quatrième moteur est le moteur informatique assurant une accélération sans précédent du temps de transmission des flux de données. L´instantanéité devient la règle. Le résultat de cette course au temps est très paradoxal. En effet, tout a été fait techniquement pour s´affranchir du temps et pourtant il n’y a jamais eu autant d’urgence ! .
CE sentiment de pouvoir être partout, tout le temps, en restant chez soi, dans un monde hyper connecté, a donné naissance à notre revendication spatiale : la « glocalisation ». Ce terme émane bien entendu d´une contraction des mots global et local en pointant du doigt qu´il existe désormais la possibilité de réconcilier des réalités globales et des particularités locales. Le « glocal » signifie à la fois la réduction du monde et la prise de conscience que le monde est un tout. Nous sommes en effet toujours entre Terre et Terroirs géographiquement, économiquement, culturellement, spirituellement etc.
La religiosité et notre septième revendication. C´est bien évidemment la revendication la plus spirituelle. Les institutions religieuses dans les sociétés occidentales ne mobilisent plus ou mobilisent moins. Mais, un mythe chasse l´autre ! En effet, dans cette époque post religieuse naissante, on croit toujours, voire même plus qu´avant. En revanche, la nature et la fidélité aux croyances à changer. D´abord on croit en dehors des institutions et des valeurs universelles. Ensuite, on croit de manière plus nomade et plus éphémère. Tout se passe comme si on croyait à plusieurs choses en fonction de l´heure et du lieu. On est passé de la religion et sa morale dogmatique à la religiosité et son éthique pragmatique. La personne d’aujourd’hui envisage désormais son salut sur un mode très subjectif, très atomisé et non hiérarchisé. La préoccupation essentielle du salut de la personne postmoderne est de répondre, en écho, à ses émotions du moment dans un lieu donné.