Le monde d’après : Une promesse éternelle une fois encore recyclée ?
La sidération de l’ensemble des gouvernements mondiaux devant la pandémie du coronavirus a mis en lumière deux choses inerrantes à l’économie mondialisée dans laquelle nous baignons. La première de ces deux choses est qu’un système optimisé est aussi un système fragilisé. Le revers de la puissance, c’est le manque de résilience. Rappelons qu’avec le confinement, on n’a pas choisi la vie au détriment de l’économie. On a juste choisi de ne pas avoir à gérer qui restait ou pas en vie compte tenu du manque de place dans les hôpitaux optimisés (voire laminés depuis des années). Cette réalité nous fait envisager aujourd’hui ce qui était encore impensable hier : Laisser des lits libres dans certains services « au cas où ». La deuxième chose révélée par cette pandémie mondiale est que dans un système fragilisé, l’effet papillon joue à plein. Un patient 0 a mis l’économie mondiale à terre ! A l’évidence, dans un tel système, la relation de confiance entre gouvernants et gouvernés tient à un fil et doit sans cesse être raccommodée.
Le monde d’avant venait d’en haut. Ce ne sera pas forcement le cas de monde d’après !
En effet, dans un monde devenu chaotique (tout sauf stable), effervescent (tout sauf tranquille) ou encore erratique (tout sauf prédictible), on mesure l’intelligence d’une société ou d’une organisation à la quantité d’incertitudes pouvant être supportées avec une certaine confiance. Quel drôle de retournement ! Pendant la crise du coronavirus, la science a justifié tout et son contraire. On pense bien évidemment tous aux masques ou à l’hydroxychloroquine. Cela prouve qu’il ne faut pas chercher dans la science un substitut pour calmer ses angoisses. Réfléchir sur le monde d’après c’est partir du monde d’aujourd’hui pour dépasser et transcender ses limites et ses impasses par émergences créatives successives. Le monde d’avant venait d’en haut. Ce ne sera pas forcément le cas du monde d’après. Dans le doute, la plus sage des attitudes pour construire le monde d’après est donc une attitude personnelle, non pas pour changer le monde mais pour changer son propre monde. Alors peut-être, par capillarité, émergera un nouveau monde. Dans la société comme dans toute organisation, l’entre aide entre tous passe par l’engagement de chacun. Chaque fois qu’une personne ne joue pas ou plus le jeu, c’est l’entre aide entre tous qui décroit. Une chose est certaine : Ou nous voulons une reprise du monde d’avant et alors, il ne faut pas parler du monde d’après. Ou nous voulons un monde d’après et alors il ne faut pas relancer le monde d’avant ! L’heure du choix approche et la réponse est de plus en plus urgente. Chacun de nous doit maintenant prendre sa part de responsabilité.
A chaque mutation, une hiérarchie en chasse une autre
En période de crise ou de mutation, une société n’est pas une machine à laquelle il suffit de donner un mode d’emploi pour bien fonctionner. C’est dans ces moments de tension que l’on redécouvre que l’individu sans société est d’une fragilité patente et la société sans individualité est d’une stérilité navrante. Nous en avons eu la preuve tout au long de la crise du coronavirus qui a ébranlé nos institutions, notre économie et notre manière même de vivre. Plus profondément encore, cette crise sanitaire, sans équivalent depuis bien longtemps, nous a démontré la différence de nature entre avoir le pouvoir et faire autorité. Avec les profonds changements à l’œuvre, il saute désormais aux yeux que le pouvoir d’en haut est un statut permettant (au mieux) d’arbitrer alors que l’autorité d’en bas est une aura, un talent, un charisme permettant de fédérer et de mobiliser. Pouvoir et autorité ne sont donc pas (ou plus) à confondre. Souvent le pouvoir impose, parfois même aveuglement. L’autorité, elle, propose puis les autres disposent. A l’évidence, le pouvoir représente plutôt la loi du père alors que l’autorité relèverait plutôt de la loi du frère. A chaque mutation sociétale, une hiérarchie en chasse une autre…A notre époque, la hiérarchie des pouvoirs (Je suis donc je peux ! ) se délite lentement et la hiérarchie de l’autorité (je vaux ce que fais) émerge tranquillement et même quelquefois brutalement.
Il nous faudra certainement revisiter la notion de progrès
Dans une société de communication comme la nôtre, le contrat entre le mot et le sens est souvent rompu. Souvent, entre le monde de l’information et le monde de l’observation, l’écart se creuse. Prenons comme illustration de cette réalité deux sujets de fond, les études supérieures et la santé. Faire des études permet (parait-il) d’échapper aux emplois non qualifiés. Mais quand la crise vient, c’est les emplois non qualifiés qui tiennent le pays à bout de bras. Pour que le fossé entre la communication et l’observation ne cesse de se creuser, la question de fond suivante doit être débattue : A quoi servent exactement les études aujourd’hui ? Une des réflexions centrales pour répondre à cette question sera de redonner une raison d’être au progrès. En effet, les gens ont parfois l’impression, avec la robotisation du travail par exemple, que le progrès se retourne contre eux. Si les études de demain servent à féconder un monde redonnant au progrès un sens partagé par la grande majorité d’entre nous alors les études retrouveront une utilité. Concernant la santé, si on veut donner un réel sens à la décision de confinement terriblement pénalisante pour l’économie alors il faut répondre à la question : La santé pour quoi faire ? Un élément de réponse es que, dans le monde d’après, aucun pays ne devrait dépendre d‘un autre pour la santé de ses citoyens…Voilà une première pierre pour construire une économie de la Vie réconciliant (peut-être) la santé des citoyens et la santé de l’économie.
Une nouvelle échelle des niveaux de décisions s’impose
Le changement est souvent une éternelle promesse car, au fond, il est très difficile de profondément changer un système qui veut toujours avoir raison. Toute transformation nécessite un changement d’avis, de cap, de direction et il y a dans ce constat tout le problème de nos élites co-sanguines. Et pourtant, avec la crise du coronavirus, il apparait toujours plus clairement que le dogmatisme (voici le vrai) engendre de plus en plus souvent le scepticisme (rien n’est vrai). La vraie vie a de plus en plus de mal à supporter les idéologies car la réalité s’ancre de plus en plus dans des choses imparfaites et relatives donc à l’opposé de l’idéologie qui se veut souvent parfaite et pure. Quand il y a prolifération et accumulation des crises, il y a amplification des tensions. Notre époque est précisément à cette phase critique qui va nous mener, pour dissiper ces tensions, soit vers l’effondrement soit vers l’émergence d’un nouveau monde. Pour l’émergence d’un nouveau monde, il sera important de réaliser que les visions et les valeurs ont changé d´échelle. Elles ne concernent plus une nation ou une organisation dans son ensemble mais des « cultures de vie » à l´intérieure de celle-ci ou de celle-là. La pandémie en cours nous a rappelé que la globalisation des problématiques est un fait avéré, mais que l’universalisation des « solutions » est un échec flagrant. Une nouvelle échelle d’organisation va donc s’inventer. Dans cette nouvelle échelle, l’autonomie devra être la règle avec des décisions prises au plus près des problématiques rencontrées. Ainsi, se réconcilieront les principes de liberté et de responsabilité entre des communautés de vie devenant (peut-être) respectueuses de leurs différences