La grande dislocation des systèmes hiérarchiques : dissection et explications
Une simple constation pour commencer
La devise des pionniers est la suivante : La majorité des gens seront d’accord avec moi mais plus tard ! Appliquée au management des organisations, cette devise explique qu’un nouveau paradigme est déjà en train d’émerger. En effet, quand tu fais toujours plus de la même chose en espérant un résultat différent, il n’y a pas le moindre espoir que les choses s’améliorent, bien au contraire. En période de profonds changements, les « lois » du management ne traduisent plus les « voies » de l’engagement. Toutes les études faites sur ce sujet le démontrent : 15% à peine des salariés sont réellement engagés dans leur mission. Face à ce désengagement souvent souterrain, de nombreux artifices sont utilisés pour améliorer le bien-être au travail. Chacun a un exemple en tête dans son entreprise ou dans celle d’un collègue. La réalité est pourtant ailleurs. En effet, quand le train ralentit (panne de motivation), il est plus utile d’alimenter la locomotive (en revisitant en profondeur les leviers de motivation) que de changer de wagons (ce qui revient à un pur changement de façade). Pour redonner un vrai sens au travail, il est temps de revoir l’organisation du travail. Mais n’anticipons pas trop et pour l’instant regardons d’abord d’où vient le mal.
Petite histoire d’une lente dislocation….
Dans les entreprises aujourd’hui, ce n’est pas parce que tu chapeau(tes) une équipe qu’il faut te prendre pour une tête ! En effet, quel que soit ton niveau d’intelligence, des ennuis en management tu en as chaque année…et parfois elles s’accumulent en te donnant l’impression que celles de l’année prochaine sont déjà là. Partout, les institutions sont en crise et le système est contesté. L’entreprise et son encadrement n’échappe pas à cette tendance. Le fameux dégagisme n’est au fond que le symptôme d’un sentiment diffus et confus d’un rejet de ce qui vient d’en haut et de cet « ordre froid » pompant plus d’énergie et de ressources au système qu’il en apporte. Partout, autorité et organigramme ne sont plus forcément synonymes. Tout se passe comme si on assistait à une lente mais profonde dislocation des systèmes hiérarchiques. Pour tenter d’expliquer cette dislocation (sans la valider ni l’avaliser), remarquons que les entreprises très hiérarchisées sont généralement managées de manière très dogmatique. Dans ces organisations, on accorde parfois plus d’importance aux tableaux de bord qu’à la vie à bord avec un management très souvent mécanique. Ce management ne conquiert plus le « cœur des hommes » car il a oublié que la volonté d’obéir est parfois puissante mais souvent aveugle. Pour perdurer, l’obéissance doit toujours être complétée par un désir d’engagement très éclairant.
Les 7 étapes de la chute d’un système hiérarchique
L’observation de la dislocation des systèmes hiérarchiques montre un processus en sept étapes pouvant être recapitulé ainsi
- Les systèmes hiérarchiques engendrent des systèmes mécaniques pour résoudre les problèmes.
- Ces systèmes mécaniques consomment des ressources matériels (du capital) et immatériels (des ressources humaines) pour fonctionner.
- Face à la complexité croissante de nos environnements, ces systèmes mécaniques ontdes coûts croissants et une efficacité décroissante.
- Le déclin de cette efficacité, (liés aux réductions de couts parfois inéluctables) engendre des poussées de tensions dans le système
- Ces tensions engendrent des doutes croissants sur le bien-fondé des systèmes hiérarchiques et alimentent des forces de résistance et de sécession.
- Au-delà d’un certain seuil, ces résistances et cette sécession provoquent le dysfonctionnement du système hiérarchique et des systèmes mécaniques
- Cette dislocation n’est pas une catastrophe, mais une opportunité pour revoir de fond en comble les moyens de gouvernance d’une entreprise dans un monde complexe
Quand on ne parle pas le même langage, il est difficile de se comprendre !
Pour poursuivre l’analyse de cette dislocation, disons que ce qui frappe l’esprit aujourd’hui beaucoup plus qu’hier, c’est que plus personne ne semble vraiment se comprendre au-delà de son cercle. Cette constation est une réalité dans la société comme dans les entreprises. Entre les différents niveaux hiérarchiques, au-delà de quelques mots creux et/ou corporate, plus personne ne parle la même langue. Toute communication, tout échange est très approximative et très superficiel. Toute écoute, même attentive, devient une vague traduction de ce qu’il y a à mettre en œuvre. Le malentendu est la règle ! Mais d’où viennent ces profonds malentendus ? A l’évidence, les bases sur lesquelles reposaient les techniques managériales ont muté. Depuis le fameux taylorisme, le management mécanique est calé sur le triptyque verticalité-tradition-durée. Il doit, depuis l’apparition puis l’explosion du numérique, affronter la déferlante horizontalité-innovation-immédiateté. Cette déferlante a une conséquence : Chacun a sa vérité sans hiérarchie les uns par rapport aux autres…
Mais au fond, qu’est ce qui a tant éloigné le cœur des hommes de leur travail ?
Depuis toujours, la réussite des systèmes hiérarchisés reposent sur ses relais, c’est-à-dire le middle management. La crise identitaire qu’il a subi explique en grande partie l’implosion lente et diffuse de la hiérarchie. Cette crise est due à un statut rattaché à l’autorité sans l’autonomie et le pouvoir de décision qui vont avec. Ce paradoxe « a essoré » le middle management en l’obligeant à préférer la consigne à la conscience. L’erreur du top management a été de confondre rationalisation et optimisation. La rationalisation vise à éliminer ce qui n’est pas quantifiable. A l’inverse, l’optimisation vise à obtenir le meilleur qualitatif possible avec le moins de « quantitatif » possible. L’observation montre que pour obtenir l’engagement des personnes, le management doit être optimisant mais pas forcément rationnel. Grande victime de cette regrettable confusion entre optimisation et rationalisation, le middle-management supporte de plus en plus mal la « pression rationaliste ». En conséquence, il n’a parfois même plus envie de faire semblant !
Pour conclure….
Le fléau des organisations hiérarchisées c’est le travail en silo des différents services. Il en résulte une fragmentation de la conscience collective donc de la responsabilité. Souvent pour sauver le système, on entend dire qu’il faut remettre l’Homme au centre de l’organisation. Mais que signifie au fond un management humain ? Pour répondre à cette question, rappelons d’abord que le management est complètement réussi s’il réconcilie Désir (pour le futur) et Plaisir (dans le présent) car nous sommes toutes et tous des êtres de Désir et de Plaisir. Cette réconciliation est à l’œuvre aujourd’hui déjà dans des organisations en réseau où la solidarité renforce l’autonomie (la force collective est au service de l’indépendance de chacun) et l’autonomie renforce la solidarité (le libre engagement de chacun nourrit la force collective). Il parait donc évident que les organisations en réseau sont en train de supplanter les organisations hiérarchiques par la force de leur unité, la puissance de leur cohérence et la fluidité de leur évolution. En management comme ailleurs, la force d’une organisation en réseau réside dans un engagement individuel au service d’une promesse collective. C’est certainement cette alliance entre engagement et promesse qui réconcilie le désir et le plaisir de s’engager dans un projet où l’appartenance collective est au service de l’indépendance de chacun et inversement.