Dans 50 ans, travaillera-t-on encore ?
En 1945, 60% de la population était rurale et travaillait dans les champs. Aujourd’hui moins de 2% de la population active est nécessaire pour nourrir les 98% restant. Les progrès techniques, l’automatisation, la mise en place des tracteurs et des moissonneuses, ont permis des gains de main d’œuvre phénoménaux. Aujourd’hui déjà et demain plus encore, il se passe dans tous les autres domaines ce qui s’est passé dans le secteur (précurseur ?) de l’agriculture. Mais alors, dans 50 ans, serons-nous que 2% à travailler ? Tenter de répondre à cette provocante question, nécessite de prendre du recul sur notre relation au travail d’abord, de mesurer l’impact des progrès technologiques sur le travail ensuite et d’apprécier nos capacités d’adaptation face à aux mutations enfin.
Bref historique de notre relation au travail
Pour retracer l’évolution des relations entre le travail et nous, faisons simple en constatant ceci : Hier nos parents disait à leur employeur : Faites-moi l’honneur de m’engager et je vous ferai honneur par mon engagement. Cet état d’esprit reflétait une subordination reconnaissante. Aujourd’hui nos enfants disent à leur entreprise : Dis-moi ce que tu as à me proposer, je te dirai si j’ai envie de m’engager. Cette posture traduit une collaboration prudente. Parions que demain, nos petits-enfants diront : Je veux bien m’engager avec toi mais pas trop longtemps car je n’ai pas que cela à faire. Cette philosophie de vie traduira, dans le travail comme ailleurs, une envie d’association plus ou moins éphémère déjà observée dans d’autres compartiments de notre vie (vie de couple éphémère, magasins éphémères, réseaux associatifs éphémères…). Tout indique déjà, dans nos comportements, un changement de philosophie profond dans notre relation au travail que l’on pourrait résumer ainsi : Ne plus perdre sa vie à la gagner ! Le nouveau sens de la valeur travail en 2021 est peut-être dans cette mutation-là.
Pourquoi le travail reste néanmoins important ?
Malgré cette apparente « satellisation » de la valeur travail, pourquoi notre job reste au centre de tous les débats et de toutes les polémiques au sein de notre société ? Quelques éléments de réponse, sous formes de bonnes et mauvaises raisons, peuvent être avancés :
- Parce ce qu’il nous permet d’être ce consommateur roi qui nous fait parfois exister
- Parce ce qu’il se rarifie, se durcit et se complexifie
- Parce ce qu’il est un des moyens les plus courants de créer du lien social
- Parce ce qu’il encourage la cupidité et l’avidité, deux des caractéristiques les plus répandues dans l’espèce humaine
- Parce ce qu’il permet la réalisation de soi et/ou une aspiration existentielle
Mais alors pourquoi la fierté du travail est en recul ?
Bien qu’occupant une place centrale dans les débats de société, la fierté de travailler est globalement en recul. Comment expliquer ce décalage ? Peut-être en se rappelant qu’avant la mondialisation, les classes ouvrières vivaient (dans tous les sens du terme) de la fierté de leur travail. Après la mondialisation (et la désindustrialisation qui l’accompagne), les emplois, dits de service, véhiculent moins de fierté. C’est en grande partie ce déclassement du travail qui est à l’origine d’un certain désamour de la valeur travail. Dans notre vie professionnelle comme ailleurs, ce n’est pas parce que l’histoire se décide en notre absence que nous échappons à ses conséquences. La globalisation des modèles nous soumet à des pressions et des contraintes sans précédent. Chacun de nous, pour des raisons parfois forts différentes, est piégé dans de nombreuses toiles d’araignées qui nous font accepter notre travail sans vraiment l’assumer, sans vraiment s’y engager, sans vraiment l’aimer. Les grandes batailles idéologiques autour de l’entreprise se sont pour l’instant soldées par une uniformisation des modèles autour d’une financiarisation de l’entreprise : Tout se passe comme si c’était l’argent qui décidait là où doit aller l’entreprise. Imaginez un instant que ce soit l’essence de votre voiture qui décidait de votre destination. Seriez-vous aussi fier de conduite votre belle auto là où bon vous semble ? Evidemment non ! Alors ne nous étonnons pas que les gens qui travaillent pour l’argent ne soient pas plus fiers que cela du travail accompli ou du travail à accomplir.
Chômage et pénurie de main d’œuvre : Il est où le problème ?
La cohabitation d’un chômage élevé et d’une pénurie de main d’œuvre qualifiée ne fait que signer une chose : la vitesse d’agression du marché du travail est bien supérieure à la vitesse de réaction humaine. En d’autres terme, la vitesse des changements observés au niveau de la demande est bien supérieure à la vitesse d’adaptation de l’offre. Il faut reconnaitre que la formation est d’abord une question de passion puis secondairement une question de raison. Cela se vérifie aisément en constatant que certains prennent plus de plaisir à se former à des métiers sans débouchés plutôt que de se former à des métiers recherchés. Cette dichotomie entre emploi et formation est une conséquence d’une mutation sans précédent du marché du travail et de la nouvelle philosophie vue plus haut : Ne plus perdre sa vie à la gagner. Evidemment, une mise à jour entre l’offre et la demande s’imposera et plus elle sera retardée et plus elle sera brutale. En effet, avec l’intelligence artificielle, on se posera un jour le type de question suivante : Qu’est-ce qu’il vaut mieux ? Des milliers de médecins en moins où une expertise assistée par ordinateur presque infaillible pour détecter un cancer ?
Relation entre progrès technique et relation au travail
Aujourd’hui déjà, deux créativités s’affrontent sur le marché du travail. Celle des machines, systématique, sans état d’âme et reposant sur des capacités de calcul énormes. Celle des Hommes, parfois génial mais avec ses états d’âme, son éthique, sa morale, ses doutes et parfois même son dépit. Les deux principales caractéristiques des ordinateurs sont leur force de connectivité et leur capacité à s’actualiser. Face à ces deux forces, si les humains veulent rester au centre des organisations, ils devront être capables de travailler en réseau et de se mettre à jour. A défaut, c’est la machine qui décidera et l’Homme qui exécutera ! La révolution numérique rend parfois la vie plus facile en entreprise mais rarement plus simple. Or ce ce n’est pas la facilité qui crée de la valeur mais la simplicité. La nuance est de taille. Le deal pour la prochaine répartition des tâches est peut-être là : Les machines nous facilitent la vie, charge à nous les humains, de rendre la vie plus simple à tous.
Pour conclure : un message pour nos enfants et petits-enfants…
Dans bien des entreprises, encore aujourd’hui, l’objectif du travail est de produire des résultats mesurés quantitativement. Tout le management dit productiviste est basé sur cette notion. Mais la robotisation croissante des taches est en train de changer la donne. Dans les 20 ans à venir, 40% des tâches aujourd’hui dévolues à des humains seront confiées à des robots. Avec cette mutation, le problème du travail humain ne sera plus de produire mais de créer. C’est ce changement de finalité du travail qui finira par changer la finalité du travail. Car quand il s’agit de créer, il n’y a ni horaire, ni durée, ni modèle, ni norme, ni économie d’échelle…C’est donc tout le système dit productiviste qui s’effondrera. L’ère industrielle a donné naissance au management de la productivité. L’ère numérique qui s’ouvre devant nous donnera naissance au management de la virtuosité. Tout un programme pour repartir sur de bonnes bases entre le travail et nous…à condition de répondre à cette question cruciale « Qu’est ce que je fais très bien et qui est difficile à faire pour les autres et quasiment impossible à réaliser pour un ordinateur ? Si vous répondez à cette question, une superbe employabilité vous tend les bras pour les 50 ans à venir !