Sociologie du changement : il est où le problème ?
Le management du changement : une promesse éternelle ?
Restons simple et lucide pour commencer : Le management du changement ne pose à priori aucune difficulté quand la différence entre l’avenir et le présent est comprise comme un progrès résultant de l’action collective et individuelle. C’est d’ailleurs cette projection d’un avenir encore plus prometteur que le présent qui déclenche la mobilisation puis l’action donc le cheminement puis le changement. Le hic dans cette belle histoire est que le bilan des promesses n’est pas bon. De mémoire d’Homme, le progrès (comprendre les promesses) se résume souvent dans une tentative de nous libérer de nos principales contraintes. Il suffit de se repasser le film pour le constater : Successivement, nous avons tenté de nous libérer de Dieu par la laïcité, de la fatigue par la technologie, de la réalité par l’idéologie, des inégalités par la justice sociale, du risque par le principe de précaution, de l’ennui par le ludique et le divertissement. A chaque époque, les chemins furent parfois douloureux, souvent aventureux, toujours incertains.
Les contreparties : le problème du management du changement ?
Sans nier les aspects positifs de ces tentatives de libération, nous sentons bien que les progrès (donc les promesses) n’ont jamais vraiment été à la hauteur des espoirs initialement soulevés. C’est donc fort logiquement que notre foi dans le progrès s’essouffle (voire parfois nous étouffe, nous y reviendrons) en engloutissant au passage notre foi dans le management du changement. Il est vrai que quand on parle de changement, il est quand même permis de se poser la question de quel changement parle-t-on quand on constate, par exemple :
- Qu’à l’allongement de la durée de vie répond une certaine tristesse de la vie
- Qu’au règne de la quantité répond la perte de qualité
- Qu’à la montée des richesses matérielles répond une certaine misère existentielle
- Qu’à l’hypertrophie technique répond une atrophie humaine
- Qu’à l’inflation de justice sociale répond une certaine déflation de justesse sociétale
- Qu’à la multiplication des plaisirs artificielles répond une éradication bien réelle de la joie de vivre
Le management du changement a changé d’échelle…et c’est bien ça le problème !
Toutes ces constatations, tous ces doutes, ont rendu partout et en tout, plus difficile le management du changement. Cela est vrai pour une nation socialement, pour une entreprise économiquement. Les visions, les valeurs, les intentions ont changé d´échelle. Elles ne concernent plus une nation ou une entreprise dans son ensemble mais un groupe d´individu, une communauté, un clan ou encore une minorité à l´intérieure de la nation ou de l´entreprise. Ce changement d´échelle répond à un saut de complexité sans précédent d´une société devenue à la fois hyperconnectée, rebelle et débridée. Ce mouvement d´indépendance face à la norme ou à l’autorité témoigne d’une impatience manifeste par rapport aux promesses de changement venues d’en haut mais rarement tenues. Ce mouvement d’indépendance est aussi une réaction hostile au management du changement trop souvent utilisé comme gage de cohésion et finalement source de gagnants et de perdants.
Le management du changement : un niveau de maitrise bien relatif !
Malgré les réticences face aux changements venu d’en haut, une chose reste d’actualité : Nous demeurons embarqués dans le changement. La nouveauté, donc la difficulté, est que nous ne maitrisons plus aussi bien qu’auparavant « notre changement » étant donné la dissémination des foyers de ruptures. Il y a dans ce paradoxe entre la liberté du changement individuel et l’imprévisibilité du changement collectif, toute notre volonté de se maitriser individuellement mais aussi toute notre angoisse de se perdre collectivement. A titre d’illustration, le paradoxe entre « changement local » (que l’on essaie toujours de maitriser) et « changement global » (qui nous échappe toujours plus) est à l’origine des interminables débats entre les partisans de la mondialisation et les défenseurs de la souveraineté comme s’il devenait plus possible d’articuler le global et le local.
Management du changement : acteur ou spectateur ?
Au fond, le changement a toujours existé mais c’est son ressenti qui a changé de nature. Hier, la figure de l’avenir mobilisait collectivement et dans une direction bien définie. Cette clarté engendrait sinon l’engagement de tous du moins la volonté de l’immense majorité. Aujourd’hui nous sommes pour la plupart, face à ce même avenir, reléguer au rang de spectateur d’un désordre apparent auquel nous participons anonymement. Cette différence de statut face au changement (d’acteur à spectateur), explique un certain enfermement dans le présent et un certain désengagement face aux nécessaires changements. L’illustration de ce désengagement collectif prend toute sa dimension quand on mesure les très faibles progrès de nos comportements face à l’urgence que nous impose certains défis écologiques par exemple. Dans une moindre mesure, mais de manière tout aussi inquiétante, les entreprisses souffrent de cette impuissance collective face au changement pour devenir réellement agiles et mener à bien les nécessaires changements pour l’économie de demain.
Paradoxe : Le management du changement à besoin de continuité
Quand tout s’accélère (et avec le numérique et la mondialisation, tout s’accélère), la « vitesse d’agression » de l’environnement dépasse la « vitesse de réaction » du cheminement. C’est par ce mécanisme que la précieuse notion de continuité s’écroule dans la société comme dans les entreprises. Or contrairement aux idées reçues, le changement a besoin d’une certaine continuité pour se légitimer car un changement sans fondement est un changement sans engagement. Cette perte de continuité place souvent le management du changement dans un contexte de rupture d’où les réactions, les objections voire les obstructions. Pour reprendre l’analogie de la vitesse citée plus haut, le management du changement nécessite non pas de rouler vite ou de rouler loin mais de rouler juste, en synchronisant « vitesse d’agression » et « vitesse de réaction »
Où se situe vraiment la justesse dans le management du changement ?
Pour approcher au plus près la nécessaire justesse que réclame le management du changement, utilisons l’analogie de la métamorphose d’une chenille en papillon pour rappeler que le changement est toujours délicat et pose sans cesse une question essentielle : Quelle métamorphose faut-il mener pour construire un changement qui s’enracine dans ses fondements ? Pour poursuivre notre analogie, notre tendance collective est plutôt de faire une chenille qui vole ou un papillon qui rampe. Autrement dit, notre réflexe est de compliquer ou de sophistiquer les fondements ce qui a pour effet de pénaliser le changement. Tout se passe comme si nous préfèrions de vraies complications aux vrais changements ! Quelle erreur ! Compliquer ou sophistiquer les choses ne produit que très peu de valeur ajoutée. La chenille ne volera jamais aussi bien que le papillon et le papillon ne rampera jamais aussi bien que les chenilles quels que soient les efforts réalisés et les ressources investies.
Le management du changement : l’histoire de la source et du réservoir !
Pour construire un changement dont les fondements sont compris et acceptés, il parait sage de considérer que la culture d’un pays ou d’une entreprise est un réservoir d’énergie et que la vision de ce pays ou de cette entreprise est une source d’énergie. Le secret du management du changement est de faire en sorte que la source alimente en permanence le réservoir pour obtenir un torrent d’énergie ! cela est vrai pour les dynamiques individuelles et collectives mêmes si l’échelle des mécanismes de synchronisation entre source et réservoir se complexifient avec la loi des grands nombres.