Humour, les managers mentent ils ?
Qui ne s’est jamais tiré les cheveux au moment de choisir la formule de politesse à placer en toute fin de courrier?
J’ignore quelle est votre pratique de la chose. Je confesse pour ma part un double penchant en la matière, romantique et coupable : l’outrance et l’épanchement. Grands dieux, je ne demande qu’à progresser sur la voie de la sobriété mais surtout de l’exactitude, sans parler de la justesse ! C’est l’objet de cette petite chronique à vocation thérapeutique, à laquelle vous êtes cordia… à laquelle vous êtes invités.
Bref et indigent état des lieux
Cordialement : l’expression remonte à 1393 et signifie rien moins que « de tout son cœur ». Je vous laisse un instant visualiser avec effroi le visage des personnes auxquelles vous vous êtes parfois adressé « de tout votre cœur ». En aviez-vous précisément l’intention ? Mention spéciale si vous avez ajouté « bien » devant cordialement, comme si tout votre cœur n’était déjà pas suffisant.
Bien à vous : il se porte très bien en ce moment. J’ai longtemps succombé à son petit accent médiéval. Certains considèrent qu’il est une forme de bénédiction : « je vous souhaite du bien » ; d’autres l’envisagent plutôt comme une posture d’immolation personnelle : « je me donne à vous ». C’est peut-être concevoir le service de manière un chouya radicale. Au final, bien à vous n’est en fait que la traduction du « yours sincerely» de nos cousins d’en face, davantage connus pour leur flegme (maitrise de l’humeur), que pour leur sens de l’effusion personnelle.
Respectueusement : chacun sait, hélas, combien la notion est aujourd’hui galvaudée. Pour vouer du « respect » à quelqu’un aujourd’hui, il faut, au choix, être supposément vieux jeu, ou, au contraire, porter une casquette de baseball de traviole, une grosse chaine en or avec en pendentif le logo d’une marque de voitures de luxe, et manier la rime riche.« La confiture sur le mur obscur, qui se fissure à toute allure, je te l’assure, c’est de la confiture de mûre. » Yo, respect. Fermez le ban.
Sincèrement : ah mais ce serait magique (et sans doute un peu carnavalesque) si nous étions tous sincères ! L’étymologie du mot vous intriguera peut-être autant que moi. Sincère vient du latin sincerus qui veut dire « une seule pousse », c’est-à-dire sans mélange, entier. (Raison pour laquelle je mets une option là-dessus : l’unité de la personne, c’est le défi de ce siècle).
Dévouement : si vous vous dites dévoué, c’est que vous prétendez être disposé à TOUT faire pour vous rendre agréable à votre interlocuteur, voire à vous consacrer à lui. Remontez donc vos manches. Allez, mieux que ça !
Agréer : les formules qui prient de croire ou d’agréer s’avèrent aujourd’hui aussi périlleuses que les agrès du gymnase. Assez peu commode de retomber sur ses pieds. Ou alors, il faut aimer rester à cheval. Simplifions, simplifions !
Salutations : elles se doivent d’être distinguées, ce qui achève de faire tomber l’expression dans le plus pur flou artistique. En quoi se distinguent-elles des autres ? Vos correspondants ont au moins toute la nuit pour y réfléchir.
Sentiments : mais vous êtes fous ! Des sentiments en 2013 ? Vous en seriez capables ? Rappelez-vous que vous êtes nés pour faire votre devoir, des affaires, et, pour faire encore bonne mesure, la gueule aux autres.
Amicalement : votre téléphone sonne au beau de milieu de la nuit. Quelqu’un a besoin de vous, quelque part, là, tout de suite. Si vous ne sortez pas du lit à la seconde, sortez donc « amicalement » des courriers que vous adressez à ce trouble-fait.
Que penser après ce petit tour de piste ? Eh bien que nos habitudes lexicales importent peu. L’essentiel tient surtout à une question toute bête : comprenons-nous bien le sens des formules que nous employons et ce à quoi elles nous engagent effectivement ? Tenons-nous leur promesse ? Pour de vrai, comme disent les enfants. Prenons nous notre propre langue au sérieux ? Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde, écrivait Platon.
Il y a sans doute plus de violence dans une formule dépouillée ou détournée de sa vocation, pour compenser, déguiser, flatter, mentir ou méprendre, que dans des propos authentiquement désagréables ou franchement rudimentaires. Il faudrait parfois savoir finir une lettre sans d’autre forme de procédé ou par un « furieusement », un « je vous prie de croire dans les sentiments que je vous dois » (entendez : aucun). « Espèce de voyou » aurait sans doute son petit effet. Zou, vous avez carte blanche !
Certaines personnes peuvent ainsi être d’une politesse remarquable et se montrer capables de comportements vulgaires ou tout à fait ignobles. Les blessures qu’ils infligent sont deux fois plus redoutables. L’essence même du mal émane souvent du raffinement qui l’accompagne. La beauté du diable est bien connue. Sa politesse l’est beaucoup moins. Ce qui prouve que la politesse n’est pas au cœur du sujet. Ce qui s’y trouve, ça n’est qu’une chose : l’adéquation entre le dire et l’agir.
Les Anglais ont un verbe fabuleux pour nommer ce lien mystérieux, to mean. Il est issu du Vieux Saxon « menian » qui exprime à lui seul trois notions sœurs : avoir l’intention, signifier et faire savoir.
Toute parole bien comprise, fut-elle « de politesse » nous oblige véritablement de l’intérieur. Faute d’avoir trouvé celle qui vous convient, pourquoi ne pas en inventer une qui vous soit propre ? A l’heure du branding personnel, ce serait du meilleur effet, n’est-ce pas ? L’aristocratie a lancé la mode il y a quelques siècles. Quelques familles sont coûte que coûte demeurées fidèles à leur devise. D’autres ont préféré donner dans le « bizness » en conjuguant le terme au pluriel.
En conclusion, aux yeux du nombre, la formule de politesse relève vaguement de la consigne, de la caution ou de la coquetterie. Rien ne nous empêche de ne plus en employer si nous nous efforçons de vivre de manière telle qu’il ne puisse y avoir aucun doute au sujet de nos intentions véritables. And I mean it.
N’oubliez pas : on ne guérit pas si facilement !
Bertrand Leblanc-Barbedienne