La destination ne fait pas le voyage dans l’ère postmoderne
Le management moderne industriel planifiait des objectifs. Le management post moderne artisanal synchronisera des intentions.
Résumé: le management face aux effervescences et aux tendances du postmoderne.
Face aux évolutions sociaux-économiques irréversibles et irrémédiables qui impactent largement les entreprises, l’idée d’une redéfinition du management est dans l´air. On assiste, en effet à un retour en force des « humeurs » et de ses conséquences sociales et économiques. En écho à ce changement d´atmosphère dans les entreprises, un nouvel art managérial s´impose. Faute de nom précis, appelons ce nouvel art le Management Post Moderne (MPM). Ce MPM quittera progressivement les lois de la planification pour tendre vers les lois de la synchronisation afin de faire face à un espace- temps de plus en plus fluctuant et évanescent.
Dans les entreprises comme dans la société de tous les jours, tout va plus vite, tout est plus incertain et tout devient plus ou moins éphémère. Ce constat est théorisé en mode mineur par les élites politiques et économiques mais ressenti, subi et vécu en mode majeur par un nombre croissant de salariés et de personnes. Un saut de complexité, du à la multiplication des acteurs et des interactions entre eux, est à l´origine d´une visibilité réduite y compris pour le top management des entreprises. Cette visibilité réduite est elle-même à l´origine d´un pilotage à vue des entreprises, éventuellement utile mais assurément déstabilisant pour les salariés. Dans ce contexte volatil, effervescent et presque évanescent, les managers doivent malgré tout continuer à diriger des équipes et les conduire à un maximum d’efficience. Mais comment faire ?
Il faut tuer le mythe de la planification pour continuer d´avancer !
La notion de progrès continu et linéaire, pierre angulaire de la société dite moderne, n’est plus de mise dans la société postmoderne émergeante. Dans les interstices des désillusions politiques et des crises économiques répétées et successives s´est infiltré le ressentiment que demain ne serait pas forcément mieux qu´aujourd’hui. Cette contamination des esprits, qui grignote du terrain jour après jour, change en profondeur notre logique sociétale et managériale en balayant sur son passage le mythe et la puissance de la planification. En effet, tout le monde s´aperçoit chaque jour un peu plus que les choses ne se déroulent pas comme prévu et que le progrès annoncé et planifié n´est pas toujours au rendez vous. La conséquence de ce constat est que les gens veulent vivre le mieux possible l’instant présent. La recherche d´un plaisir immédiat, d´une jouissance « ici et maintenant », relègue futur et avenir au rang d´accessit. On renonce de plus en plus à construire et à dessiner le futur. En revanche, on vit de plus en plus le moment présent dans un imaginaire collectif fait souvent de spontanéité, de précarité, d´enthousiasme et d´incertitude. La planification focalisait les énergies, l´enthousiasme et les ressources humaines sur des plans, des progrès et le futur. Le MPM consistera à focaliser les énergies, l´enthousiasme et les ressources sur un accomplissement personnel vécu ici et maintenant. C´est le seul moyen de s´affranchir de toute promesse intenable eu égard à l´incertitude ambiante. Le mythe de la planification est mort, vive le mythe de la synchronisation. Le management d´hier devait planifier. Le MPM devra synchroniser mais synchroniser quoi et comment ?
La synchronisation des intentions dans l’ère du postmoderne
La planification de projet était la pierre angulaire du management moderne. Cette planification consistait à choisir le meilleur chemin pour atteindre la destination que l’on s’était fixée. Le projet visait l’atteinte d’une destination lointaine et extérieure (l´atteinte d´un CA, d´une croissance ou d´une part de marché à 3 ans par exemple). Mais quand les longs fleuves tranquilles de l’ère moderne cèdent chaque jour un peu plus la place à des myriades de torrents turbulents et tumultueux, quelle pertinence reste t-il à cette planification de projet ? Quand la visibilité cède la place à l’instabilité, quand le permanent cède la place à l’effervescent, doit-on continuer à passer notre temps à planifier l´imprévisible! A l´inverse, comment s’organiser si plus rien n’est prévisible, si tout devient précaire et volatil. La réponse émerge d’un nouvel art de vivre : l’art de la synchronisation des intentions. En effet, puisqu’il devient de plus en plus difficile de déterminer ce qu’il sera, il ne nous reste plus qu’à déterminer ce que nous voulons ! Voilà résumé l’art de l´intention. Et puisqu’il nous faut de la cohérence pour exister et que cette cohérence ne viendra plus d´une destination extérieure programmée, il ne nous reste plus qu´à fabriquer cette cohérence de l’intérieur! Voilà résumé l’art de la synchronisation. Savoir ce que nous voulons et se construire cette cohérence de l´intérieur plutôt que de l´attendre d´une hypothétique destination extérieure. voilà en résumé l´art de la synchronisation des intentions. A titre d´illustration, c´est précisément cet art de la synchronisation des intentions est à l´origine de la forte densité des liens existant au sein d´une même tribu. Cette forte densité des liens explique en grande partie la forte intensité des expériences vécues au sein d´une tribu sachant bien évidemment que cette intensité d´action et cet densité de lien sont deux formidables moteurs de performance.
Résumons : Le projet moderne consistait à choisir le meilleur chemin pour atteindre une destination ou un lieu extérieur. Aller à Rome est un projet. L´intention postmoderne consiste à se doter de critères de choix parmi les chemins possibles. L’intention vise l’atteinte d’un état intérieur.
Vivre joyeux est une intention. Le MPM subordonnera l’idée de projet àl’idée d’intention car le projet est devenu trop aléatoire (et l´objectif trop spéculatif). L’intention ne fait aller nulle part mais elle définit une façon de marcher et quand on ne sait pas ou l´on va, autant savoir comment on y va ! Aller quelque part (le projet), c’est se donner une étape qui sera un nouveau point de départ mais en réalité seul le chemin parcouru reste et fait valeur. L´étape est uniquement symbolique. La valeur est donc plus dans l´intention que dans le projet. C´est cela aussi le passage du quantitatif (le mesurable) au qualitatif (la valeur). A l´évidence, l´intention n´exclut pas le projet. L´intention est même une locomotive pour le projet. En effet, dès que l´intention est forte, claire et partagée, la convergence des efforts, des volontés et des actions se met en place, presque naturellement. La mission managériale, alors, n’est plus de commander et de contrôler, mais de stimuler, d’améliorer, de favoriser et de faciliter la progression. La nécessaire synchronisation des intentions, pour répondre à un manque toujours plus important de visibilité et de prédictibilité, est la raison essentielle pour laquelle les organisations post-modernes travailleront de en plus en plus en réseau voire en tribu au service d´intentions très engagées et de valeurs fortes. Le vrai patron à l´ère post moderne sera l´intention collective. Tout le reste ne sera que bavardage. On planifie de faire 3 milliards d´euros à horizon 5 ans mais on ne se synchronise pas autour de 3 milliards d´euros à 5 ans !!!
La synchronisation des intentions dans le temps et l´espace
Les systèmes hiérarchiques ou pyramidaux de l´ère moderne industrielle sont très mal adaptés pour synchroniser les équipes. Il y avait un lien entre planification et hiérarchie. Il n´y pas de lien entre hiérarchie et synchronisation. C´est exactement pour cette raison que la hiérarchie est aujourd´hui mise à mal dans le management des équipes. C´est déconnexion de plus en plus fréquente entre le haut et le bas de la pyramide explique également un refus croissant des cadres préétablis. Le MPM doit donc s’ajuster aux personnes et négocier avec elles leur degré de liberté et de responsabilité. Le MPM devra réinventer un nouveau pacte entre managés et managers en se posant la question : Comment ajuster en permanence liberté et responsabilité sachant qu´il n´existe pas de responsabilité sans liberté et pas de liberté sans responsabilité. Pour retrouver de la mobilisation malgré l´absence croissante de visibilité, le manager postmoderne devra créer des espaces de vie dans les entreprises en décloisonnant ce que la modernité avait soigneusement cloisonné : raison/passion, travail/jeu et lieu/lien
Pour commencer à esquisser à quoi pourrait ressembler ce nouvel espace de vie dans les entreprises, commençons par tuer le mythe qui voudrait que travailler beaucoup et longtemps signifie travailler bien et efficacement. La quantité et la qualité du travail ne convergent pas. Chacun devrait être rémunéré exclusivement pour ce qu’il fait bien sans la moindre considération de temps. Tuons également, sur notre lancée, le mythe que travailler au bureau ou à l´usine est le seul espace de travail productif. Ce qui va compter dans les années à venir c´est ce qui sera fait et non où et quand cela est fait. Pour rentrer dans le management post moderne, nous devons retrouver une logique d´artisan en abandonnant la logique industrielle, son uniformisation et sa standardisation dans le temps et dans l´espace : l’artisan ne vend pas son temps, il vend ce qu’il fait de son temps. C´est ce qui lui permet de rester libre et responsable.
Face à cette revendication de liberté de temps et d´espace, les juristes voient la mort du contrat de travail, les syndicats la mort de leur fond de commerce revendicatif et le patronat la désorganisation de toute la logistique et la production. Il faut sortir d’urgence de cette logique délétère. Le problème de demain ne sera plus la productivité (quantité produite par unité de temps) mais l’effectivité (qualité produite par unité de rémunération). C’est une révolution socioculturelle qu’il faudra faire. Pour retrouver de la compétitivité en créant des espaces de vie dans les entreprises, les managers de demain devront réinventer le temps et l´espace de travail. Le management moderne industriel planifiait des objectifs. Le MPM artisanal synchronisera des intentions. C´est la raison pour laquelle le MPM subordonnera l’idée de projet à l’idée d’intention. La destination (le projet) ne sera qu´un prétexte au voyage (l´intention) ! La destination ne sera qu´une étape et non la finalité.
Le MPM est évidemment un nouvel écosystème mieux adapté à des environnements plus éphémères et plus évanescents. Pour accompagner ce nouvel écosystème managérial, passer de la planification à la synchronisation des activités est une intention prioritaire du MPM avec comme finalité de créer chez nos collaborateurs :
- Une nouvelle présence au travail : une présence pour s´élever plutôt que râler, pour échanger plutôt que dominer, pour progresser plutôt que louvoyer.
- Une nouvelle expression : une expression pour rechercher la reconnaissance et la dignité de ses œuvres plutôt que la reconnaissance et la dignité de son statut ou de son état.
- Une nouvelle action : une action guidée par la volonté de servir une intention plutôt que par la volonté de conquérir ou détruire je ne sais quoi ou je ne sais qui !